Le Trawun

Cela fait quelques semaines déjà que je n’ai rien pondu. Peut-être est-ce dû au trop plein de spiritueux de cette période d’agapes, à la sourde langueur inhérente aux chaleurs extrêmes de l’été austral, ou est-ce la lecture approfondie de l’œuvre de H.P. Lovecraft qui me plongea dans une torpeur  fantasmatique… Ou plus simplement une vieille flemme des familles. Toujours est-il que profitant de la plus que bienvenue fraîcheur de Cañete, je m’en vais de ce pas vous narrer, par le menu, le retour au sud que je fis en compagnie du camarade Pato et de sa compagne Claudia. Mais d’abord, et en accéléré, un rapide résumé des épisodes précédents mais non contés.

Avec les compagnons Thomacito – le viking au crâne rasé à la carrure d’allumette cramée – et Pato, nous passâmes cette fin d’année 2017 à jouer aux touristes (presque) de base. Visite de la ligne 6 (automatique) de Santiago dont la ville s’enorgueillit, bien qu’elle fonctionne correctement une fois sur deux (moment « magnifique » dixit la copine Amélie qui n’a visiblement jamais fréquenté le métro de Rennes), fête, visite du Cajon del Maipo, chouille, discours du candidat Guiller (PS) et surtout de Pepe Mujica devant la Moneda avant la branlée électorale du premier, cuite, musée de la Mémoire, beuverie, route des poètes, teuf, Fête anniversaire du Movimiento Popular Manuel Rodriguez (dissident du Frente Popular Manuel Rodriguez), gouel, découverte des Siete Tazas et du restaurant Viejas Cochinas (qui ce peut traduire par les Vieilles Cradingues) resto hyper réputé et bon marché de Talca, beuverie (aidée en cela par le don d’un paco, à nos potes de Molina, de 40 litres de vins rouges « tombés d’un camion »), concert d’une école de musique autonome et autogérée, proposant La Cantata de Santa-Maria de Iquique, chouille, pièce de théâtre au stade national avec une œuvre autour de la vie de Ramon Ramon, ouvrier libertaire ayant tenté d’assassiner le général à l’origine du massacre de la Santa-Maria de Iquique et dont le frère fait partie des victimes… Noël avec trois méga-bouffes en deux jours dans les familles de Pato et Claudia et Nouvel an à El Tabo en compagnie des copains Amélie et Ricardo et deux potes à eux (avec quelques apéros au milieu pour pas perdre la main… Ou le foie). Suivi, pour dire un ultime au-revoir al compadre, d’une petite sauterie.

Voilà de manière non exhaustive ce qui se passât entre notre retour du sud et le retour du retour au sud. Manque une ou deux fiestas mais je pense que vous ne m’en tiendrez pas rigueur.

Donc nous voici à nouveau en route pour Temucuicui à l’invitation des werken (porte-parole) Jaime et Jorge Huenchullian. Petit détour touristique par le Salto de Laja, superbes cascades presque à sec car en amont on y a construit un magnifique barrage au prix de l’expropriation d’une communauté mapuche (reléguée à plusieurs centaines de km dans une zone inondable !) ; et par Negrete. Et lorsque je vis Negrete, mon cœur s’emplit de joie à l’idée de ce merveilleux jeu de mot aussi facile que culinaire. A l’écriture de ces quelques lignes j’en ris encore. Nous arrivons en fin d’après-midi et sommes accueillis chez les parents de ceux-ci où a lieu l’anniversaire d’une de leurs nièces. Plein de gamins partout à courir et à profiter d’un plan d’eau pour se rafraîchir sous ce soleil de plomb. Moment très agréable à converser, notamment avec Don Juan, le patriarche de la famille. Je ne sais pas si j’ai déjà eu l’occasion de le dire mais le Lof (communauté) de Temucuicui a une importance assez considérable dans l’histoire des luttes mapuche. Imaginez qu’au milieu des années 1970, trois de leurs membres sont allés jusqu’à Santiago demander au gouvernement militaire la restitution de leurs terres ancestrales. Il en fallait des bolocks ! Et pas qu’un peu. Autant dire qu’ils l’ont bien senti passer leur velléité territoriale.

Le lendemain nous nous mettons en route pour Collipulli, commune voisine, où a lieu un trawun extraordinaire. Un trawun est une rencontre culturelle, spirituelle et politique à laquelle sont invitées diverses communautés. Celui-ci a de particulier qu’il doit parler essentiellement de lutte, légale et clandestine. Les mapuche s’attendent à un durcissement de la répression à leur égard. L’arrivée au pouvoir de Piñera, droite ultra-libérale mâtinée de fascisme à l’ancienne n’est pas pour les rassurer. A ce stade du récit je dois dire la chance d’être invité à ce rassemblement où ne sont autorisé aucun étranger aux Lofs en lutte. Mais Jorge et Jaime ont souhaité notre présence et le lonko Victor (autorité, chef de lof), connaissant notre travail, a accepté bien volontiers, ainsi que les autres délégations présentes. Nous arrivons au milieu de l’après-midi sur les terres du Lof Kollu Mawull Mapu (Terre Rouge Arbre Rouge). Chaque Lof a, sur les terres communes, un Keni, construction en bois, en arc de cercle profond de 2 à 3 mètres d’un rayon de 50/60 mètres. Le toit et la façade extérieure sont couverts de branches et de feuilles d’eucalyptus et de canelo, l’arbre sacré. Entre les deux extrémités du Keni, trône le Rewe, « totem » de la communauté. Celui-ci est composé d’un tronc d’arbre dans lequel on a creusé une sorte d’escalier. Il est entouré de branches (bambou, canelo…). Ce Keni est orienté plein est avec vue sur un volcan au sommet enneigé. Toute la parcelle est entourée d’arbres. Au sud et au nord des eucalyptus d’entreprises forestières et à l‘est d’un bosquet d’arbres natifs. Toutes les femmes et les petites filles portent la robe noire traditionnelle, agrémentée de tabliers et de chemises colorées. Elles arborent fièrement les bijoux classiques mapuche. Les hommes, eux, ont leur poncho et le trarilonko (couronne du chef), un bandeau de laine aux couleurs et motifs variés. Dans ce repaire de repris de justice (tous les Huenchullian sont passés par la case prison ; jorge a un mandat d’arrêt sur le dos ; le lonko est en attente de verdict pour violence sur policier…) je reconnais plusieurs visages déjà vus lors de manifestations ou autres moments de « grandes embrassades » mapucho-policières. Chaque communauté ou délégation a une zone propre dans ce Keni devant laquelle on commence à allumer un feu pour les repas à venir. On décharge bouffe, matelas, gamins… Installation de chiottes sèches. Bref, on se prépare à 4 jours intenses.

A 19h, au son d’une corne, on annonce l’arrivée de la Machi (autorité spirituelle) qui va « présider » ce trawun. Celle-ci vient de très loin car les communautés d’ici n’en ont plus pour le moment.

A 20h je suis tellement fumé par les feux de bois (il y a au moins 10 feux autours de moi) que je suis presque à point pour être becqueté.

Enfin, vers 20h30, la corne sonne le début de la cérémonie. Autour du Rewe, lonkos et werkens entament les discours. J’aurais aimé vous faire part de la fougue, de la profondeur de ceux-ci. De la force et de la grandeur des mots utilisés. Malheureusement je n’avais pas avec moi mon carnet de notes et je ne me suis pas permis d’enregistrer ni filmer ce moment (ni le reste du trawun d’ailleurs). Ca et surtout le fait que la quasi intégralité des discours, hors un court passage en winkadungun (langue de l’envahisseur, l’espagnol), ont été prononcés en Mapudungun. Autant dire que je n’ai pas bité le moindre truc pendant 2 heures ! Rien, que dalle, nitra , peau d’zob ! Après cela a commencé réellement la cérémonie. Chants, danses autour du Rewe accompagnés de kukun (cornes) trutruca (sorte de trompe) de pifilka (flûte à deux sons, un en aspirant l’autre en expirant, de quoi t’hyper-ventiler en 2 secondes mais eux peuvent en jouer pendant des heures sans broncher), de grelots et du Kultrun(tambour sacré) de la machi. Je mentirais si je disais que j’ai dansé. Ceux qui me connaissent savent que je préfère choper une bléno dans un bas-fond sordide plutôt que de danser. Au moins la bléno suppose qu’à un moment tu as pris du plaisir. Mais je dois bien avouer une certaine satisfaction à ces rythmes hypnotiques. Presque une transe. Une dizaine de cavaliers, la plupart sans selle (régime sévère sûrement) tournaient au galop autour du kenipendant qu’hommes et femmes dansaient en rythme autour du Reweet de la machi bien assise sur sa chaise. Et tout cela a duré toute la nuit. Jusque vers midi, sans relâche. Toute la nuit à danser. Ceux qui le voulaient pouvaient faire une pause casse dalle ou micro sieste.

En plein milieu de la nuit, dans le noir complet avec ces sons, les cavaliers, fantomatiques, un ciel étoilé je vous dis que ça, le Rewe qui semblait bouger seul et cette litanie mélodique en mapudungun j’ai eu l’expérience mystique la plus chelou qui soit. A un moment, pendant ce qui m’a semblé durer 15/20 mn, plus une pensée ne m’est venue ni en français ni même, pourquoi pas, en espagnol. La seule chose qui me passait par la tête était du pur breton. Je ne pratique que peu cette langue mais tout ce que j’appris lors de ma formation m’est revenu en pleine tronche ! Impossible de formuler une idée dans une autre langue. Comme dirait l’autre, étonnant non ? Et sans alcool ni psychotropes !

Las, au petit matin, nous apprenons la mort d’une des fondatrices du Lof Temucuicui. A l’âge « probable » de 80 ans. Une grand-mère si importante – Jorge nous dira que beaucoup de son savoir culturel vient de la Gringa (son « père » biologique était un propriétaire terrien américain) – que le Trawun est ajourné. La partie politique continuera en février. Merde, sans moi… La cérémonie continuera jusque vers 16 heures avec une pause Paline, sport traditionnel, sorte de hockey où deux équipes de 16/18 personnes s’affrontent à coup de huiְñe (crosse) sur un terrain de presque 200 mètres sur 5. Sans aucune protection. Autant dire que les ratiches et les tibias prennent souvent cher.

Après les salutations d’usage, tout le Lof de Temucuicui rentre en convoi à la maison de la défunte, début de funérailles de 3 jours au moins. Je ne sais pas si c’est moi qui porte la poisse ou si justement j’ai beaucoup de chance mais en 4 voyages c’est mon troisième enterrement de personnage de haut rang (ou d’Alger, je ne sais plus). Après un dernier repas avec les proches de la défunte et une grande partie de la communauté nous rentrons enfin nous pieuter après ces 48h de rituels.

Demain départ pour La Isla Mocha.

 

Opération Condor II

Et c’est reparti pour un tour dans le sud. Direction Temuco. Cette fois-ci nous sommes accompagnés de Leo, charmant bonhomme, vidéaste/documentariste indépendant qui a en plus l’avantage d’avoir une voiture suffisamment grande pour 5 plus bagages. Le truc c’est que le Pick-up du compadre a quelques problèmes. D’abord les fenêtres arrières ne s’ouvrent pas et il n’y a pas de ventilation (et on est entre 30 et 34° dehors !) et ensuite les amortisseurs ont l’air d’avoir été volés sur une traban. Après 8 heures de route j’ai l’impression qu’on m’a arraché le coccyx à la petite cuillère.

Une nuit des plus réparatrices plus tard, nous nous rendons à l’hôsto du coin pour y rencontrer Manquilef, jeune mapuche de 13 ans du Lof (communauté) Temucuicui, commune d’Ercilla, agressé avec un ami par trois sbires du propriétaire terrien Urban. Grizelda, la maman de Manqui nous attend dans le couloir. Un visiteur à la fois. Le pauvre gamin s’est fait défoncer ! Mâchoire brisée en 3, plus de chicots, hématomes partout. Il est complètement ahuri par les cachetons. Chacun de nous passe le saluer et Léo prend quelques minutes de vidéo. Quand il part précipitamment, seul, on comprend que la sécurité de l’hôpital a été appelée. Prises de photos et vidéos interdites. Il arrive à se casser a temps. Nous apprendrons de Grizelda que les agresseurs de Manqui sont libres et qu’aucune investigation n’est en cours. Pour en avoir une il faut que les mapuche la déclenche en prenant un avocat. Mais comme ils n’ont pas une tune et que tout ce qu’il leur reste doit payer les soins du gosse, pour le moment les trois baltringues peuvent dormir tranquilles…

Après un passage obligé au marché de Temuco pour y manger une cazuela chez Doña Marianelita, nous reprenons la route pour la maison de Jorge, oncle du petit, où nous attendent sa famille, dont son frère, Jaime, le père de Manqui et… un agneau à la broche. Putain. Après la cazuela faut se farcir encore un repas, certes excellent, mais ce n’est pas comme ça que je vais garder cette ligne de princesse enviée dans les dîners mondains et dont les maîtresses de maison abreuvées aux sodas en format 3 litres se font un devoir de jalouser. Mais quand faut y aller…

Je suis d’abord surpris de voir Jorge. Il a deux procédures d’arrestation sur le dos (pour terrorisme)  et censé être clando dans la nature. Il est venu semer son blé et repart le lendemain dans la montagne. Mais bon, avec ce qu’il s’est passé avec son neveu et la branlée qu’ils risquent de se prendre en arrivant dans la communauté, les pacos (flics) « ne sont pas pressés de venir [le] chercher ». Quand à Jaime, il vient de passer  un mois au zonzon – sur la foi d’une dénonciation dudit Urban – et relâché finalement sans autres procédures. Faute de preuves. Il venait de rentrer chez lui quand son fils a  été agressé.

Nous passons la journée (et la nuit) à causer de tout – et surtout de la situation dans les communautés – tout en faisant sa fête au mouton, aidés en cela par quelques canettes de boissons houblonnées. Depuis deux ans la répression ne fait que s’accentuer. Au Chili comme en Argentine. Arrestations arbitraires, procès truqués, assassinats (en Argentine) et maintenant violences envers des mineurs. Avec le concours ou du moins le regard bienveillant du pouvoir. C’est fou ce que les mapuche ont pu déguster sous des gouvernements dits de gauches. Frey, Lagos, Bachelet… Chaque fois qu’un socialo est au pouvoir les mapuche s’en prennent plein la tronche. D’ailleurs la plupart des lonkos appellent leurs communautés à ne pas participer aux élections nationales. Quand la droite est au pouvoir ils prennent cher, la gauche s’émeut et fait la vierge effarouchée. Mais ils prennent cher. Quand la gauche est au pouvoir, la droite applaudie la répression et le reste de la gauche ferme sa mouille. PC en tête. Bref. Droite ou gauche, pour les comuneros, même topo. La petite nouveauté bien dégueulasse du jour c’est la nouvelle coopération entre les justices et polices chiliennes et argentines pour lutter contre le « terrorisme » indigène. Ce que les amis appellent l’Opération Condor II. Pour les plus jeunes ou les plus ignares d’entre vous, l’Opération Condor, au milieu des années 70, c’est un peu l’Internationale des fils de pute. Une coopération entre la plupart des pays d’Amérique du sud – avec le concours des cousins du nord – pour cibler et assassiner tout ce qui de prêt ou de loin ressemblait à un dangereux gaucho. Même pas le temps pour un exilé chilien ou paraguayen au Pérou de visiter Cuzco ou pour un Bolivien en transit au Brésil de se payer du bon temps sur les plages de Rio. T’es un peu dissident dans ton pays ? Hop. Une balle. T’es issu d’un gouvernement de gauche ? Boum, une mine. Les services secrets de ces paradis d’extrême droite sont venu jusqu’en Europe pour égorger les fils et les compagnes de « l’idéologie marxiste ».  Et voilà que Chili et Argentine semblent se souvenir avec émotion de cette période bénie durant laquelle tous les gouvernements de bidasses, hier ennemis, sont tombés dans les bras les uns des autres. Un souvenir tellement émouvant que Bachelet (Chili – socialiste) et Macri (Argentine- droite) se sont dit :

  • Putain c’était chouette quand même. On remet ça ?
  • Mais ça va être compliqué de se débarrasser de la fange trotskiste sans faire de vague.
  • Merde c’est vrai. Hey, y’a les mapuche ! Chez moi ils font rien qu’a embêter mon maitre Benetton.
  • Et chez moi ils veulent l’autodétermination en reprenant des terres qu’on leur a volées pour les donner à de vrais industriels. En plus on leur a construit des écoles. Même pas un merci. On y va ?
  • Pareil chez moi. On leur a fait des routes et rien. Pas un bisou pas un bécot. Quels ingrats. Cool, on y va.

Et voilà comment on remet au goût du jour une belle tradition presque perdue. Pernaut en chialerait pendant son JT.

C’est sous un soleil de plomb et ce qui ressemble à une gueule de bois que nous reprenons la route le lendemain, se promettant de se revoir rapidement. Nous apprenons à notre retour à Santiago que Manqui, malgré son état, a été ramené chez lui. Pas assez de lits à l’hôsto en générale et pour un gamin mapuche en particulier. Du coup, comme George Abitbol, j’ai moi aussi bien envie de le dire : « Monde de merde ! »

 Merci à Léo pour cette vidéo.

Le Chili a peur !

C’est sous un soleil de plomb et un vent à décorner les beaufs – et les bœufs aussi – que j’arrive à Santiago. Je suis rejoint par le camarade marseillo-normand (le mec se dit plus nîmois mais c’est la même engeance tout ça !) quelques jours plus tard. Nous mettons à profit cette petite semaine santiaguinote sans UNE manif intéressante pour nous mettre à la page chilienne après ces deux années d’absence. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le Chili, en cette période électorale – présidentielle, sénatoriale, législative, régionale – et ben, c’est bien le bordel. Rien de plus anxiogène que de jacter avec les copains, de regarder les infos à la télé. Entre les narcos, les meurtres gratuits, les ladrones, accidents mortels de voiture… mater un JT c’est se prendre une sueur froide à l’idée de sortir dans la rue. Même le grand Jean-Pierre Pernaut n’était pas aussi flippant quand il faisait campagne pour les Sarkozy/Le Pen. Petit topo donc pour nous mettre en condition pour les semaines à venir.

Cette année la présidente Bachelet (socialiste) ne pouvant se représenter – elle finit son deuxième mandat – c’est son bras droit, Guillier, qui est en charge de défendre son bilan. En face de lui, Piñera qui brigue un deuxième mandat. Pour faire court Piñera c’est le mix parfait entre Berlusconi pour le côté milliardaire et Sarkozi pour le côté parvenu et les TOC. Le mec bouge ses épaules en permanence comme s’il vivait sur une faille sismique. Bon, il VIT sur une faille sismique. D’ailleurs ici tout le monde attend le Big One. On nous prédit un méga tremblement de terre très prochainement. Ambiance… Mais revenons à nos moutons électeurs qui ont à choisir pour le deuxième tour entre : à ma droite, Piñera, donc, soutenu par Kast, d’extrême droite, fils d’un « migrant » nazi et qui avait « un programme tellement bon que Pinochet aurait voté pour [lui] ». Et à ma droite aussi mais moins Guillier (PS). Celui-ci a la lourde tâche de défendre un bilan catastrophique qui ferait passer celui de François Hollande pour une révolution prolétarienne. Entre corruption et non-respect des engagements de campagne, népotisme, répression des vieillards ex-prisonniers politiques, des mapuche et des pascuans, ce gouvernement divers gauche (avec de vrais morceaux de communistes dedans) a tout pour plaire. A côté Manuel Valls à l’air d’un affreux marxiste humaniste.

Du côté des anciens prisonniers politiques, que nous avions laissé se bagarrer contre l’état pour gagner quelques pesos et un meilleur niveau de vie, c’est la débandade totale. Le mouvement s’est – encore – scindé en plusieurs petits groupes suite aux coups de péripatéticiennes de militants communistes qui ont voulu faire un véritable coup d’état au sein du mouvement. Les militants communistes (s’entend les militants du Parti Communiste) devraient être dissouts dans je-ne-sais-quel acide pour service rendu aux forces réactionnaires. De la « Révolution » russe à aujourd’hui en passant par la Guerre Civile espagnole, ils n’ont eu de cesse de faire capoter tout ce qui ne rentrait pas dans la ligne directrice du Parti. Nos ex PP donc, malgré une lutte des plus légitimes et même le soutien d’organisations onusiennes, se retrouvent comme des cons. Il n’y a pas d’autre mot. Ou alors Grosjean comme devant. Ou le bec dans l’eau, pour ne pas dire fort maris.

Enfin, et j’ai gardé le meilleur, les mapuche (dont je rappelle qu’au pluriel on ne met pas de S car mapuche est déjà un pluriel, je le redis pour ceux du dernier rang). Après les meurtres impunis de communeros au Chili et en Argentine, de disparitions de militants (en Argentine) après arrestation par la gendarmerie, l’ultra militarisation de la campagne, c’est avec consternation que nous apprenons le passage à tabac du fils de Jaime, werken de la communauté autonome de Temucuicui que nous avions prévus de rencontrer prochainement. Le garçon de 13/14 ans a été démonté – ainsi qu’un de ses amis du même âge – par un grand propriétaire terrien, son fils et son beau-fils. Flingues, coups de latte… Tout ce qu’il faut pour te refaire une belle dentition. Les deux gamins ont été hospitalisés, le fils de Jaime dans un état grave. Rendez-vous est donc pris pour aller voir ça de plus prêt en fin de semaine, ce qui nous permettra de faire un topo un peu plus précis de la situation dans les communautés.

Certes, tout ceci est assez anxiogène. Mais cela ne nous empêche pas de dormir tranquilles. Sommeil effectivement facilité par notre dose quotidienne de pisco sour. A votre santé !

Carnaval et histoire sans fin…

Je suis invité par Pato au sud de Santiago, à Villa Francia, quartier populaire s’il en est. Les habitants ont décidé de créer un carnaval totalement autogéré. J’y vais d’autant plus ravi que Subverso est annoncé en fin de soirée. 3 ans que je le manque, ce soir, c’est LE soir. Mais j’y vais surtout parce que les camarades Saïd et Juanito vont y jouer avec leur projet Sidi Wacho.
Je me rends donc en bus dans ce haut lieu de résistance à la dictature. Je n’ai pas pris mon appareil photo, les carnavals me gonflent, je n’y vais que pour les concerts. En arrivant je rencontre un groupe de grapheurs qui ont créé un mural en l’honneur d’un jeune homme assassiné à l’endroit de l’œuvre. Un combattant du FPMR (Front Patriotique Manuel Rodriguez). Un truc vraiment impressionnant. Je comprends plus tard que ce mural fait entièrement partie de la fête. Un des grapheurs, en apprenant ma nationalité, me raconte que Villa Francia se nomme ainsi en remerciement à la France. Qu’ouïe-je ? « Qu’est-ce que la patrie des droits de l’homme a à voir là-dedans ? Lui demande-je in petto, on n’en a pas fait assez en vous envoyant Aussaresses ? » « Que nenni, me répond-il, au contraire vous nous fûtes d’une aide précieuse. » Et de me raconter la chose suivante : Pinochet avait décidé de bombarder ce quartier très pauvre de la capitale chilienne. Pauvre et donc rempli de pourritures communistes. Les familles avaient beau exhiber les enfants portés à bout de bras pour faire changer d’avis les bidasses militaires, pour leur montrer que ce n’était pas un repaire de terroristes, ceux-ci ne voulaient rien entendre. Et tous ces gens ne doivent leur salut qu’à la pression de la France pour empêcher le carnage. Ce quartier porte le nom de Villa Francia en cet honneur. « Tu peux être fier de ton pays ». Ce serait bien la première fois ! Je laisse donc ce pauvre hère à ses délires éthylico-n’importe-quoi.
J’arrive sur le lieu même de la fiesta et là je dois dire que ce carnaval fût un enchantement. Rien à voir avec ces conneries bourgeoises vides de sens que l’on inflige à nos têtes blondes sous le seul prétexte de pouvoir se la coller avant, pendant et après. Je sais qu’un vieil édit stipule que pendant le carnaval de Dunkerque on peut tromper sa femme, ce qui se passe pendant le carnaval reste au carnaval. Qu’à Venise on se met des masques à la con pour entrer dans les back rooms. Qu’on profite du carnaval de Rio pour se mettre des plumes dans le fondement. Mais où est la subversion bordel ! Non ici on « carnavale » pour lutter. Ensemble. Contre l’état. Contre la misère. Contre l’oubli. Ici on s’autogère, on arbore des slogans révolutionnaires, on demande la justice et la vérité, ou dans l’autre sens… Dans une ambiance ! Un vieux camarade, disparu trop tôt cette année (Serges, si tu m’entends, c’est que soit tu n’es pas mort, soit que dieu existe – je ne m’emmerderai pas à lui mettre une majuscule, vu l’état du monde, il ne mérite pas – mais toi et moi savons que de toutes façons tu ne m’écoute plus) un vieux camarade, donc, me disait toujours, lutter oui, mais de manière festive. Et ben autant vous dire que même si la teuf était sans alcool et sans drogue, ça balançait grave, comme on a dû le dire pendant un moment. Perso je ne m’en souviens plus mais j’ai bon espoir de toucher des personnes âgées, alors je me plie volontiers à ce genre de formule par trop désuètes. Des batouk’ en veux-tu en voilà. Des groupes de musique à foison. Des trucs chinoisant. Plein. Mais de haute qualité. Beaucoup de couleurs, de costumes Aymaras, de drapeaux Mapuches, Palestiniens…
Le concert commence par les potos. Et non les potos. J’ai déjà parlé de la différence entre ce mot en français et en castillan. Démerde-toi. Donc Saïd, Juanito et leurs comparses font leur show et franchement c’est super. Ambiance géniale dans le public. Passe ensuite le Trio Memorial. Ils arrivent à 8 sur scène ! C’est quoi cette affaire ? Ils ne savent pas compter ? Je me dis : « tiens, le chanteur guitariste qui a l’air d’être le leader est aveugle. Ils lui ont fait une blague à l’Amadou et Mariam santiaguinote. Le dimanche à Santiago c’est le jour des gros pipos. » « Mais non, me répond l’amie Claudia, trio pour Nosotros, Ustedes y la Memoria (Nous, Vous et la mémoire) ». Un spectacle entièrement basé sur la recherche de justice pour les morts et disparus de la dictature. Un moment intense, pendant lequel une des protagonistes nous a raconté une histoire. Ce n’est pas pour te plomber ami lecteur, mais je l’ai trouvé tellement belle que je m’en vais à mon tour te la conter.
Pendant les dictatures sud-américaines, il était interdit aux prisonniers politiques de chanter, de se parler, d’écrire – même sur les murs. Il leur était même interdit de dessiner. Dans une de ces dictatures, un homme, brisé par de longues séances de torture, eut enfin la permission de voir sa famille. Une fois par semaine. Sa femme et sa fille, très jeune, se préparèrent à cette rencontre tant désirée. La jeune fille dessinât toute la journée de la veille. Arrivée à la prison, après les palpations d’usage, elle montrât son papier plié en deux au gendarme (NB : au Chili la Gendarmerie n’est pas le corps militaire qui tue des jeunes à Sivens mais l’administration pénitentiaire). Celui-ci l’ouvrit et découvrit un très joli dessin d’oiseau. Le gendarme déchirât le dessin et le jetât à la poubelle. La jeune fille regardât sa maman dans les yeux, cherchant une explication à ce qui venait de se passer et celle-ci lui dit : « nous sommes dans un pays où il est interdit de dessiner les oiseaux ». La petite comprit ce que sa maman voulait dire. La semaine suivante, la veille de la nouvelle rencontre avec son père, elle dessinât toute la journée. En arrivant devant le gendarme, elle lui donnât sa feuille pliée en deux, l’homme l’ouvrit et découvrit un magnifique dessin de papillon. Il déchirât le dessin et le jetât à la poubelle. La petite fille se tournât vers sa mère et d’un regard lui demandât une explication sur ce qui venait de se passer. « Nous sommes dans un pays où il est interdit de dessiner un être vivant. On ne peut pas dessiner un oiseau, un papillon, un enfant, une femme enceinte… ». La petite comprit ce que sa maman voulait dire. La semaine suivante, la veille de revoir son père, elle dessinât toute la journée. Arrivant devant le gendarme, elle lui tendit son bout de papier qui une fois déplié offrait au regard un très bel arbre. Cette fois le gendarme la laissât passer et elle pût offrir son présent à son père.
–        Quel bel arbre, lui dit-il, mais que sont ces petites taches de couleur ? Des oranges ? Des prunes ?
–          Non, des yeux.
–          Des yeux ?
–        Oui, les yeux des oiseaux qui se cachent dans les branches pour…

C’est à ce moment précis que j’ai été pris d’une quinte de toux, je n’ai pas entendu la chute. Mais convenons-en, ça avait l’air drôlement chouette. Non ? Bon, tant pis.

Pastel de choclo

Il se murmure au Chili des choses bien étranges. Au pays du Pastel de Choclo, sorte de hachis Parmentier local, un homme a percé de secret du Pastel parfait. « Comment ? On a trouvé le secret du Pastel parfait ? » Entend-on dans les faubourgs de la capitale. « Mais qui est cet homme ? » ou encore « Il parait qu’il vient d’un autre monde ». Et bien humblement ami lecteur, je l’avoue je le confesse, cet homme venu d’un autre monde et qui a trouvé le secret du Pastel de Choclo parfait, cet homme c’est moi.
Approuvé par un panel impartial constitué de ma famille et de mes amis fortement alcoolisés (alcoolisés : les amis, pour la famille je ne me souviens plus), je me suis aventuré à, de tête, en faire un ici, au Chili, au milieu d’un public hostile de chiliens bien décidé à se rire de ce breton prétentieux qui osait marcher sur leurs plates-bandes culinaires. Et bien s’ils ont ri, ils ne l’ont pas fait longtemps ces bouffeurs de maïs ! Un succès total et une faillite morale de tout un peuple. Et depuis mon nom est scandé par toutes les ménagères du pays, entre effarement et adulation. « Tío Gus, Tío Gus ». Que d’émotion.
Et comme mon sens du partage n’a d’égale que mon mépris des pieds d’Estal, je me fais un plaisir ainsi qu’un devoir de donner à un public incrédule, la recette si simple de ce plat qui enchante mes hivers et fatigue mes intestins.
Donc pour ce mets dont la finesse n’est pas la qualité première tu auras besoin de :
– 6/7 grands épis de maïs frais (1 kg 1/2 de maïs en boite)
– 350 g de viande de bœuf hachée
– 2 blancs de poulet
– 3 beaux oignons
– 3 gousses d’ail
– 4 œufs
– 25/30 cl de lait
– de la farine de maïs
– une bonne grosse poignée d’olives noires
– avec ton autre main une autre bonne grosse poignée de raisins secs
– du beurre
– du cumin en poudre
– du basilic
– du sel et du poivre
– du sucre en poudre
Tu te lèves, tu vas à ton frigo, tu mélanges ton bœuf haché avec l’ail et 3 ou 4 cuillères de cumin (3 c’est bien, 4 c’est pour la gourmandise). Tu ajoutes du sel et du poivre, tu mets tes raisins à gonfler dans un bol de flotte et tu retournes dormir.
Après une bonne sieste réparatrice de 4 ou 5 heures, tu retournes à ta cuisine et tu t’occupes de tes oignons. Tout en continuant à suivre cette recette. Donc tu les coupes en dés et tu les mets dans une grosse casserole dans laquelle tu vas les faire revenir au beurre, pas à l’huile, on n’est pas des animaux. Et quand je dis beurre, je pense évidemment à « beurre salé ». Mais n’étant pas familiarisé avec le pléonasme, je dis « beurre », tout court. Pendant que ça dore tu fais 3 œufs durs. Pour le minutage de la cuisson des œufs tu te démerdes, je ne suis pas Ginette Mathiot ! Quand les oignons commencent à dorer, tu mets le bœuf qui a bien macéré et tu fais revenir tranquille. Tu fais cuire ton poulet à la poêle séparément.
A ce stade de la recette, il convient de retourner au lit ou de se verser une bonne rasade d‘Escudo. Mais puisque le public pléthorique qui me lit vit principalement en France, on peut remplacer l’Escudo par n’importe quelle bière de soif bon marché. Attention : il ne faut pas qu’elle soit trop lourde, on a encore du taf.
Tu prends tes choclos (ton maïs) et soit tu les cuits et les dépiautes s’ils sont en épis soit tu ouvres tes boites (comme je te comprends si tu opte pour la solution de facilité !). Dans les 2 cas tu mets le maïs dans une grande casserole (1,2 kg ça fait du volume) tu mets ton basilic (à convenance, moi j’aime ça donc je mets un demi bouquet) et le lait. Tu mixe le tout, tu fais chauffer un peu, tu épaissis avec 1 ou 2 cuillères de farine de maïs (si tu ne trouves pas tu prends de la maïzena, ça marche aussi), tu sales et mélange bien avec le dernier œuf, direct dedans.
A ce stade de la recette, il convient de se verser une bonne rasade de pisco. Mais puisque le public pléthorique qui me lit vit principalement en France, on peut remplacer le pisco par un bon whisky, bière, anisette, un Fernet Branca… Attention : il ne faut pas en abuser, l’opération la plus délicate arrive.
Dans un plat beurré (je ne reviens pas sur « au sel ou pas ») tu mets au fonds, par couche et dans l’ordre : le bœuf, la volaille, les œufs durs coupés en fines lamelles, les poignées de raisins (que tu as au préalable égouttés, je ne comprends pas comment tu n’y as pas pensé tout seul ! je ne vais pas te tenir la main jusqu’au bout quand même !) et d’olives, et par-dessus, la bouillie de maïs. Juste avant d’enfourner tu saupoudre de sucre. Une fois que tu as saupoudré de sucre tu enfournes. Dans un four bien chaud pour une bonne demi-heure. Il faut que le pastel soit bien doré au-dessus. Tu sers bien chaud avec une salade. Normalement tu fais manger 6 à 8 personnes.
Voilà. Tout ce tintouin pour un truc aussi simple. Allez bon appétit quand même.
J'ai piqué cette photo sur je ne sais plus quel site. Mais dès que je photographie le miens je met à jour.
J’ai piqué cette photo sur je ne sais plus quel site. Mais dès que je photographie le miens je met à jour.

Dure mer

[…]

On va à Viña, on va à Viña
Se faire griller nos petites guiboles
On va à Viña, on va à Viña
Se faire masser nos vieilles peaux molles
[…]
Viña ville de vieux, ou des cadavres blêmes
Gisent dans les rues farcis de chrysanthèmes
Viña ville de bourges, ou des enfants obèses
Se gavent de glucose dans de trop longues chaises
[…]
On va à Viña, on va à Viña
Se faire griller nos petites guiboles
On va à Viña, on va à Viña
Se faire masser nos veilles peaux molles
On va à Viña, on va à Viña
Dans la mer on va patauger
On va à Viña, on va à Viña
Et sur le sable on ira s’échouer
Les plus cultivés d’entre vous auront bien entendu découvert le délicat subterfuge qui m’a fait ré écrire ce tube international en remplaçant le mot Cannes par Viña (sous-entendu del Mar) dans cette chanson de 1990 qui berça naguère les rêves de l’enfant innocent et plein d’une douce candeur que j’étais et qui de questionnement en questionnement commençait à saisir avec une certaine appréhension les affres de ce monde brutal mais plein de paillettes qu’est la Croisette. Les VRP ne m’en voudront pas de ce brillant détournement tant il est vrai que Viña del Mar c’est la promenade des Anglais version Chili. Viña, c’est la difficulté de trouver une bière bon marché, ce sont les peaux rougies par trop de soleil. Comme Cannes ou Nice, ce sont les visages délicatement charcutés à la scie sauteuse de ces vieilles bourgeoises pour qui le mot labeur désigne une jeune fille d’origine maghrébine ; les corps délicieusement galbés de ces hommes virils mais corrects, qui se servent de la bibliothèque familiale pour faire du culturisme. Le Viñamarino connaît les mêmes difficultés que l’Azuréen à trouver une table libre au moment de la sortie des plages. La même peine lorsque par malchance il ne reste plus de crabe au menu. Et on se sent égoïstement heureux de laisser ces pauvres hères emperlousés à leur sort de va-nu-pieds mondain.
Viña, en trois syllabes : c’est à chier.
C’est donc avec soulagement que l’on retourne à Valparaiso où nous avons la chance de manger un excellent poisson frit, pêché fraîchement par un des derniers Mohicans de la pêche artisanale chilienne. Car ici l’esprit créatif du libéralisme n’a pas de limites. Et l’on observe avec admiration les premiers effets d’une loi sur la pêche passée en force sous la droite mais votée par la gauche qui – c’est étonnant – une fois au pouvoir se désole de l’iniquité de la mesure ! Par cette loi, achetée à coup de millions de pots de vin à l’ensemble de la classe politique, sept grands industriels ont pu s’attribuer la totalité du domaine maritime chilien. Tout simplement. Imaginez si la France qui est en passe d’obtenir des territoires suffisamment grand pour en faire le premier domaine maritime du monde en faisait autant ? Si Macron et Vals allaient au fonds des choses ? S’ils en avaient un peu dans le bennard ?
L’horreur !
Un peu partout sur le littoral les pancartes fleurissent pour expliquer aux chiliens, qui n’en ont rien à carrer, ce que sont les effets de cette loi. En fait ils doivent, au choix, travailler pour les flottes Intermarché locales, qui leur rachète le poisson au prix fixé par l’entreprise (et ça vole pas bien haut) soit acheter un droit de pêche à la dite entreprise. Droit de pêche très élevé bien entendu et qui empêche une bonne partie des artisans pêcheur de prendre la mer. Et là où l’on frôle le génie c’est que sur ces petites bandes réservées aux pêchoux, la capture de certains poissons est interdite sous prétexte de raréfaction de la ressource halieutique, mais que cette restriction ne s’applique pas à ces grands groupes qui peuvent de fait s’accaparer les richesses en voie de disparition de la côte chilienne. Brillant. Je reprend deux fois du congre.
Après cette leçon de réalisme économique et un débat fort instructif sur l’avantage de casser les jambes de quelqu’un qui use du mot « Province » juste pour se défouler ; après un passage long mais fabuleux par la Isla Negra, la maison de Pablo Neruda ; après avoir contourné des monceaux d’épaves humaine dormant dans – au mieux – leur vomi, suite à un 31 décembre célébré en grande pompe (à bière) ; nous quittons enfin les rives du Pacifique. Retour à la capitale pour enfin se reposer de ces agapes.
PS : j’aime à rendre à François ce qui lui appartient. Que le jeux de mot honteux du titre cet article lui rende hommage.

Valparaiso de mi Amor

Nous avons la chance d’être hébergés par Angelica et sa famille dans les hauteurs de Valparaiso pour le nouvel an. Et autant dire que nous lui en sommes reconnaissant tant il est difficile de trouver un hostal bon marché en cette période. Le nouvel an à Valpo (quand on est dans le coup on dit Valpo, d’autres disent Courche ou Valto, mais eux je les méprise par principe) est une institution. Au moins 1 million de personnes dans les rues ! Et un feu d’artifice de déglingo. En fait c’est 4 ou 5 feux coordonnés sur plusieurs communes de la baie de Valparaiso que l’on peut voir de chez Angelica. Viña del Mar, Concón… Toutes ces villes balnéaires brillent en même temps. Rien à voir avec les pétards à mèche de l’autoproclamée plus belle ville du monde. Et nous sommes d’autant plus reconnaissant qu’Angelica ne nous connait ni d’Eve ni d’Adam. Simplement, elle est une ex pressa et qu’elle connait parfaitement le sens du mot camaraderie. Je pense qu’à part les militants du Parti Socialiste tout le monde connait le mot « camaraderie », je ne vais donc pas l’expliquer ici, mais ils peuvent me le demander par courrier postal ou par télégraphe, je reste à leur disposition.

Nous arrivons donc la veille pour prendre nos quartiers, Pato, son amie Claudia, Myriam qui nous suit dans cette nouvelle aventure et Thomas le viking au teint d’albâtre et aux cheveux… d’une certaine couleur. Pour copier de manière éhontée Vincent Malone, je dirais que c’est un Viking aux cheveux de sa couleur. Je suis désolé de ce passage fort ennuyeux sur la couleur des tifs du camarade mais dans une précédente chronique, par mégarde ou par malveillance, je ne sais plus, j’ai dit du Gorillon de Paris qu’il était, comment dire, qu’il était roux ! Et sa maman qui n’a évidemment pas apprécié de voir écrit ce qu’elle n’ose s’avouer – on a autant envie de savoir que son fils est roux que d’apprendre qu’il est fan de Jean-François Copé ou qu’il désire être curé chez les enfants de troupe – sa mère donc à placé un contrat sur mon charmant minois. L’hexagone au sud de Lyon m’est interdit, ainsi qu’une partie un peu paumée de la France dont j’ai découvert avec stupéfaction qu’elle était proche de la Bretagne, la Normandie. Je n’ai pas plus envie d’aller à Cannes qu’au Havre mais on ne sait jamais, un accident étant vite arrivé, je demande solennellement pardon, je ferai acte de contrition et je ne dirai plus que mon camarade à la peau de lait mais au visage rougi par le soleil est un rouquin. Je le penserai fortement mais cela, Madame, vous ne pourrez me l’empêcher, j’ai ma liberté de penser !
Merci !
Et puisque l’on parle rouquins, parlons anglais. Oui les anglais. Pas ceux qui vont débarquer mais les autres, les citoyens de sa gracieuse majesté. Parce que dans le port de Valparaiso, où il y a également des marins qui chantent, on peut apercevoir deux ou trois bâtiment militaires de la glorieuse flotte Chilienne. Ces fabuleux vaisseaux ont été achetés aux Royaume-Unis, vous savez ce pays autrefois puissant mais qui depuis une certaine dame de fer est resté bloqué – un lumbago sans doute – la bouche ouverte – une crampe à coup sûr – sous le bureau de l’oncle Sam. Et bien figurez-vous que Madame de Fer avait une amitié particulière avec le Grandissime Pinochet. Un même gourou charismatique, prix Nobel d’économie, Milton Friedman, attisait entre eux le feu de la passion ultralibérale et les poussait légitimement à craindre, donc à combattre, la fange ouvrière qui détruisait les fondements de leurs pays respectifs. Il arriva un drame dans leur si belle idylle. Les gauchis’ ont viré Augusto du pouvoir qu’il avait gagné à la seule force de son travail et d’une armée gagnée à ses idéaux de stupre et d’ordre. En effet, lors d’un voyage en Grande Bretagne, un juge malveillant – ne serait-ce pas un pléonasme ? – demanda à coup de mandat d’arrêt international l’arrestation et l’extradition de ce saint homme vers l’Espagne, arguant du fait que le généralissime « aurait », on met bien les guillemets, « aurait » fait exécuter des citoyens espagnols. Quelle honte que de s’acharner sur un pauvre petit vieux !
On connait une partie de la suite. Il fut placé en résidence surveillée, Thatcher a gueulé, la famille d’Augusto a présenté Pinochet comme un vieillard malade et en fin de vie, ne pouvant se déplacer qu’en fauteuil roulant. On se remémore avec joie qu’au bout de plusieurs jours, semaines, de joutes judiciaires, le grabataire a eu le droit, venu directement de Downing Street, de rentrer mourir chez lui au Chili, entouré de sa famille. On se rappelle avec émotion comment il s’est levé de son fauteuil dès l’arrivée sur le tarmac de Santiago et comment il a commencé à marcher d’un pas alerte, l’œil vif et le poil soyeux, l’air de dire, face aux caméras du monde entier : je vous ai bien niqué !
Ce que beaucoup ignorent, les chiliens les premiers, c’est que rien ne s’est joué dans cette affaire sur le plan judiciaire, hélas pour le juge espagnol qui a vraiment travaillé dur dans cette histoire. Non, le niveau de négociation était directement à la tête des états chiliens et de la plus que bien nommée dans ce cas Perfide Albion. La présidence chilienne a obtenu de récupérer Pinochet en s’engageant à acheter quelques vaisseaux de la flotte royale dont Londres voulait se débarrasser. Le Général ne sera jamais jugé pour que le trésor britannique puisse se renflouer. Les chiliens n’auront jamais accès à la justice parce que tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont toujours préservé, avec un acharnement qui force le respect, l’impunité des putschistes.
Et bonne année quand même !
Bon outre que ma lentille est dégueulasse, je tiens à souligner pour les blaireaux du fonds que le bateau au premier plan ne FAIT PAS partie de la transaction.

Ein Reich, ein Wolke, ein Republik



Interlude :
– Question géographie maintenant.  Je vous rappelle que Bob EBOBETTE joue pour une CIN-QUIEME victoire mais que son challenger Lucas TOIPOVCON n’est plus qu’à un point de gagner. Bob ?
– Je prends la main.
– QUESSSTIONNN, Géographie. Top : je suis un pays, je suis bordé par un grand océan. Constitué en République, ma dernière constitution à fait de moi un régime présidentiel créé sur mesure pour un seul homme. Les mots gravés au fronton des mairies pourrait-être Ein Reich, ein Wolke, ein Republik.
– L’Allemagne !
– Bob dit l’Allemagne. Non ! Top : J’ai signé plusieurs conventions internationales  mais même en les ratifiant  je me torche dedans allègrement, à l’image du sort que je réserve à la convention 169 de l’OIT sur les peuples autochtones et les minorités. J’ai en effet sur mon territoire des populations amérindiennes devenues citoyennes de seconde zone sans que celles-ci aient eu son mot à dire. Comme je méprise les langues régionales et autres particularisme locaux, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour déculturer ces populations. J’ai pendant longtemps pratiqué la torture que j’ai officiellement interdite, mais sous prétexte de terrorisme, j’ai bien fait comprendre au monde que le recours à cette méthode barbare et à des lois d’exceptions allaient se généraliser. J’ai actuellement à la tête de l’état un président socialiste élu sur un programme très à gauche mais comme il a autant de considération pour ses électeurs que d’envie d’attraper une chaude pisse, j’ai mis en place le programme sécuritaire et économique le plus à droite possible. Je suis, je suiiis ?
– La France !
– Lucas nous dit, sur le gong, la France, effectivement je ressemble à la France mais je suis… Le Chili ! …
Nous revenons du Wallmapu (La Araucanie pour les incultes et/ou amis des winkas) et le moins que l’on puisse dire c’est que ce pays ne cesse de m’étonner. Nous partons lundi pour Temuco, Pato, Thomas le Super gringo à la peau de rouquin neurasthénique et moi. Nous sommes rejoints par un quatrième larron. Plutôt une larronne si j’en juge par les formes peu masculines de Myriam, c’est son prénom, jeune et jolie donzelle que nous rencontrâmes à La Serena, errant comme une âme en peine après le désistement de son compagnon de voyage. La jouvencelle étant à la recherche de sensations fortes, c’est donc avec plaisir que nous lui avons proposé de nous accompagner dans cette « Croisière s’amuse » en territoire mapuche. Et comment aurait-elle pu résister à cette régalade d’aventures faites de rencontres en prison, de réunions interminables, de dizaines de bornes en voiture sur des sentiers cahoteux, agrémentés des ronflements nocturnes de ses trois coreligionnaires ? Hein, comment ?
Et la première activité je ne vais pas en parler parce que ce Trawun, rencontre, je ne l’ai pas vue. Il s’agissait d’une cérémonie publique mapuche à la prison de Temuco pour le MachiCelstino Cordoba, le journaliste Felipe Duran et Victor Maricao, trois « terroristes » que la justice chilienne garde précieusement en ces murs, sans preuve ou à base de procès truqués. Mais comme j’ai eu plaisir à chopper une belle otite, je suis resté tranquille dans mon lit. De sorte que je n’ai pas dansé en rond autour d’une fougère ni donné de la farine au plancher (faute de pouvoir le faire directement sur le sol de la communauté), etc…  Quelle déception. Par la suite j’ai pu me rattraper et c’est bien là l’essentiel !
Nous avons pris la route quelques jours plus tard, après que Thomas ait réussi sa presta chilienne, direction Hornopirén, en Patagonie Australe. Nous sommes invités par la Longko Juana Calfunao à un Trawun en territoire Williche (Mapuches du sud). Et là, on peut dire ce qu’on veut, mais le putain d’accueil que nous reçûmes montre que ces gens sont peut-être un peu plus civilisés que ce qu’ils paraissent. Et ce n’est pas pour faire l’anthropocentré de base mais entre le Curanto, Kig ha Farz local mais avec des moules en plus et le Mella, far sucré, je me suis senti un peu à la maison. Lors du Trawun, qui a commencé par une cérémonie hommage aux forces de l’univers pour s’assurer que tout ce passerait bien, les représentants des communautés parlent politique, action, situation, dans un calme et avec une discipline qui force le respect. Et l’on y apprend de bien belles choses entre deux repas. Par exemple que niveau lois d’exception, le Chili est vraiment en pointe. Comme on n’arrive plus à prouver le caractère terroriste des mapuches, on les envois devant des cours de justice traditionnelles, où on les condamne pour du droit commun mais avec des peines de… Terroriste. Qu’une décision gouvernementale permet aux prisonniers d’effectuer la fin de leur peine dehors avec bracelet électronique mais que ça ne peut pas s’appliquer aux peines pour terrorisme. Donc ça ne s’appliquera pas au mapuche…
On a beaucoup parlé pendant ces 2 jours. De revendication territoriale (et non de récupération de terres), des demandes à venir auprès de la Cour Pénale Internationale pour génocide et accaparement de terres ancestrales… On a parlé des mapuches morts assassinés pendant le coup d’état mais non référencés (1500 nom déjà trouvés), on a évoqué ces communautés attaquées en permanence par des propriétaires terriens très protégés par la police, mais moi ce que j’ai préféré, et de loin, c’est une petite saloperie bien dégueulasse dont je ne comprends toujours pas comment notre noble République n’y a pas pensé plus tôt. L’utilisation, via une petite loi de derrière les fagots, de la protection intellectuelle comme arme de déculturation ! Imaginez : n’importe qui peut déposer auprès de l’INAPI (Institut National de la propriété Intellectuelle) un mot ou expression en mapudungun (la langue des mapuches). Si tu veux utiliser ce mot tu payes. L’idée de génie ! Pour parler ta langue tu payes. Comme si les bretons devaient payer à chaque utilisation publique des mots Fest Noz.  Quelle efficacité ça aurait pour que ces bouseux arrêtent de baragouiner ! Après la privatisation du vivant, la privatisation des langues.
Qui a dit que nous n’avions rien à apprendre du Sud ?
Pas de connexion correcte, je mettrai des photos que vous allez en chialer plus tard. 
Balade sur le mont Nieñol, montagne sacrée pour les mapuche

Un gros piaf bien sympa devant notre porte

 

Manif pour tous à Hornopirén !            

Rodrigo


De nombreux lecteurs, principalement ma sœur, me font part de leur désappointement. Il parait que je n’écris pas beaucoup. Diantre, fichtre foutre. Que d’attente et d’empressement ! Le fait est que l’on m’a confié beaucoup de travail et que je m’appplique, avec 3 p pour bien montrer que je ne déconne pas, à le faire correctement. Il se trouve que depuis notre arrivée, nous suivons de près le combat des ex prisonniers politiques. Le sujet est passionnant et mérite que l’on s’y attarde. J’y reviendrais d’ailleurs plus longuement bientôt, ainsi que sur notre visite à Caimanes, au nord de Santiago. Cette communauté devrait accueillir un sanctuaire à la Madone des causes perdues tellement ce qui s’y passe  peut laisser à tout le moins perplexe. Mais de cela également je rendrais compte ultérieurement.
Avant de rejoindre l’Araucanie la semaine prochaine, je voulais évoquer avec toi, lecteur fidèle et curieux, une rencontre. Celle que nous fîmes hier lors d’une assemblée de la Coordination d’ex prisonniers politiques de la région métropolitaine. Être au milieu de ces gens donne une énergie incroyable. Ecouter les histoires de ces hommes et femmes qui ont connu la torture, le viol, l’exil… Et les voir debout et toujours combattant a de quoi te rendre humble et/ou merdeux. Monica, par exemple, a connu à 14 ans ( !) Londres 38, un des pires lieux de torture et d’exécution de la capitale chilienne. S’en est suivi 2 ans de prison puis l’exil au Venezuela. Elle était militante socialiste à une époque où cela voulait encore dire quelque chose. Aujourd’hui, vu la ligne politique du parti, elle ne risquerait pas grand-chose ! Pardon, je digresse et comme on dit, dix c’est beaucoup. Je pense également à Paulo, torturé et violé pendant des mois, à tel point qu’à la fin il attendait ses bourreaux « la bouche ouverte pour plus se faire enculer »… Et nous avons entendu tellement d’autres histoires !
Donc nous étions bien installés à manger nos empanadas de pino, à prendre des photos et à écouter les discours des uns et des autres quand une dame est arrivée. Veronica DeNegri. Une légende. Et son histoire je vais te la conter pas plus tard que tout de suite si tu veux bien passer à la ligne. Ou plutôt non, je vais te  narrer le destin tragique de son fils Rodrigo. Mais c’est quand même à la ligne.
Veronica, militante du Parti Communiste a connu la geôle et la torture dès les premiers jours de la dictature. Après ces joyeusetés et pas mal de prison, elle a été exilée à Washington, où elle vit toujours. Elle y a retrouvé son fils Rodrigo, qui avait été envoyé au Canada en 1976, à l’âge de 10 ans. Comme il se doit Rodrigo a grandi. Ça arrive souvent, on n’est pas obligé de rester bloqué à 1 m 65. Bref. Rodrigo grandit, étudie la photo et se pose des questions. Lesquels précisément je ne sais pas, mais une revient avec insistance : que se passe-t-il au Chili, pays qui m’a vu naitre ? Et de décider, comme ça, en 1986, à l’âge de 20 ans si tu sais compter, d’y aller et de se rendre compte par lui-même. Il en réfère à sa mère qui ne voit aucun inconvénient, d’autant qu’en tant que militante, elle aurait beau jeu d’empêcher son fils de voyager et témoigner des atrocités de la junte pinochetiste. De plus, le fait d’avoir un passeport étasunien est, pense-t-on, une protection en béton armé (pour rappel, les yankees sont le plus grand soutien du Général que le Prix Nobel de la Paix Kissinger a mis au pouvoir).
Notre gourgandin arrive donc à Santiago pendant l’été 86. Il y sillonne la capitale, le pays, prenant des photos, allant à la rencontre des gens. Chemin faisant, il croise la route de la belle et ténébreuse Carmen Quintana, une étudiante en ingénierie qui a comme hobby d’aider les plus démunis. C’était ça ou macramé, elle a choisi ça. Qui suis-je pour le lui reprocher ? Bien. Comme Rodrigo est bel homme, de belle stature, bien mis et surement bien monté, la belle s’amourache du photographe. Ils ne se quitteront plus.
Le matin du 2 juillet, cela fait six semaines que Rodrigo est au Chili. Il décide de photographier les barricades qui fleurissent dans les rues santiaguinotes. Accompagné de sa douce il rejoint un groupe de résistants dans le quartier de La Estación Central. Là les témoignages divergent. La version officielle dit que des terroristes ont jeté un cocktail molotov et que les amoureux transis ont été cramés. L’autre version, corroborée par Carmen, est que des bidasses les ont plaqués contre un mur, qu’un d’entre eux a essayé de mettre le canon de son fusil dans le fondement de ce petit canon de Carmen. Rodrigo a commencé à protester. Dès lors les militaires ont commencé leur travail de… D’enculé. Voilà, c’est le mot. Enculé. Après les avoir roué de coups ils les ont aspergés d’essence puis ont jeté un briquet sur le couple. Brûlés vifs, mais encore vivants, ils ont été jetés dans un pick-up et envoyé à l‘extérieur de la ville en haut d’une petite montagne. Pour être bien certain de faire le travail correctement ces fonctionnaires zélés ont tenté de les achever à grands coup de pompe et de crosse. Les ont débarqués au milieu de nulle part et se son barré, heureux du devoir accompli, avec la ferme intention de besogner bobonne ou tout autre prisonnier politique, tant il est vrai que l’exercice donne faim. Las, Rodrigo et Carmen n’était pas morts. Ils se sont levés péniblement et ont commencé à descendre le Cierro. Ils ont fini par rencontrer un homme qui, horrifié par ce tas de chaires calcinées a appelé les condés qui les ont remis dans un pick-up direction le premier hôpital venu. Rodrigo n’a pas pu être soigné. Il est mort des suites de ses brûlures le 6 juillet, après 4 jours d’agonie. Carmen est restée défigurée.
Comme il se doit il y a eu un procès. Pas pendant la dictature, évidemment. En 1991 la justice soudarde a juste trouvé que l’officier Pedro Fernández Dittus avait chié dans la colle en n’envoyant pas ce citoyen étranger à l’hôpital. Pour ce qui est de Carmen par contre ne ra ket foutr comme on dit en Bretagne. Rien à branler, elle n’avait qu’à pas être là. Bon, c’est vrai, 2 ans plus tard la cour suprême en a décidé autrement et lui a collé 600 jours de prison pour avoir cramé les tronches de Rodrigo et Carmen. 600 jours pour lui faire les pieds. Non mais !
Depuis ce temps, Veronica lutte sans cesse pour faire reconnaitre son fils comme victime de la dictature. Déjà 8 actions en justice sans succès. Pire encore. Mme Bachelet, la présidente, a offert un poste d’ambassadrice au Canada à Carmen, après lui avoir payé une réparation faciale complète, l’exhibant comme martyre de Pinochet, montrant que elle, Nicole, sera toujours du côté des opprimés (à prendre comme les propos d’un autre président socialiste dont l’ennemi est la finance) mais refusant toujours de recevoir la maman de Rodrigo. Sa seule raison de revenir au Chili est là, à Veronica, se battre pour la mémoire de son fils. Jamais cette femme ne parle de son propre calvaire. Jamais.
Voilà cher lecteur la triste et terrible histoire qui m’a émue hier. Et quelle honneur ce fut de rencontrer cette dame. Et ben moi je dis que des fois, voir des gens aussi forts, dignes et combatifs, toujours debout malgré l’injustice et la douleur, ça file vraiment la pêche, mais putain, qu’est-ce que t’as envie de chialer !
Manifestation d’ex presos

Négationnisme




En cette matinée bien chaude et étouffante, alors que nous nous rendons à Londres 38, merveille architecturale en plein cœur de Santiago que la junte a ingénieusement transformée en centre de torture, une chose bien plus importante que la visite de ce haut lieu de massacre nous saute aux yeux, à mon camarade et à moi. Surtout à lui d’ailleurs, tant il semble perpétuellement aux aguets, à la recherche d’exotisme : les cheveux coupés au carré sont super tendance cette année. Et ça le fait grave. Thomas, c’est le nom de mon coreligionnaire à la peau de normand touchée pour la première fois par des UV, n’en peut plus de tourner la tête, de droite et de gauche, ébloui par tant d’ingéniosité capillaire. Je le soupçonne d’avoir passé des entretiens chez Jean-Louis David, sans m’en parler, à seule fin de pouvoir à son tour triturer du cuir chevelu, permanenter et peroxyder, dans un élan créatif qui n’aurait eu d’égale que la virtuosité d’un vivi-sectionneur de L’Oréal pour apporter à mon poil tous les bienfaits du pétrole et du Karité.
C’est sur cette heureuse découverte que nous arrivons à Londres, jolie rue santiaguinote chargée d’histoire, à deux pas d’une église devenue musée de la colonisation. Nous sommes attendus pour participer à une réunion préparatoire à une marche d’ex prisonniers politiques, puis à la marche elle-même. Cette marche a pour but de demander au gouvernement de revaloriser leurs maigres pensions. Gouvernement qui reste sourd depuis des années à cette légitime doléance. Il y a une particularité de cette pension des plus étonnantes. Ce sont les Nations-Unies qui donnent au Chili l’argent que l’état doit redistribuer. En d’autres termes, le Chili ne donne pas un peso à ces gens qui ont perdu leur emploi, le droit de vivre où ils sont nés, leurs gonades, leur dignité… Et donc cette joyeuse bande de vieux combattants décide de marcher sur la Moneda, de manière totalement interdite, puisque manifestation non déclarée. Thomas et moi sommes chargés de prendre des photos et des sons de l’action. Les organisateurs pensent être emmerdés par les pacos, mais tout ce passe bien. Tellement bien que rapidement nous sommes à la Moneda et que faute de vieux se faisant matraquer nous n’avons plus rien à faire. On se pose sous un arbre et on attend.
On attend,
On discute avec des gens venus à notre rencontre pour nous remercier de notre soutien,
On attend.
Un groupe de touristes 8, 10 personnes, arrive, accompagné d’une guide. A la langue et à l’accent, ils sont étasuniens. On écoute d’une oreille distraite.
          – Allende est le premier président marxiste élu de l’histoire.
Ok, ça  on savait. A chaque fois qu’un guide pour gringos parle d’Allende c’est « le premier président marxiste élu de l’histoire ». J’avais déjà eu l’occasion devant le mémorial du cimetière générale d’assister à cette même scène. Un an plus tôt.
          – Allende a nommé le général Pinochet à son poste. […] le général a offert à Allende de quitter le pouvoir, sans représailles, il lui promettait la vie sauve. Mais Allende s’est entêté et n’a pas accepté l’offre du général.
Premier vomissement. Avec Thomas on se regarde, nous demandant si on a bien compris. Elle continue son speech.
        
         – La torture et les exécutions. Alors oui. Il y a eu des morts. On parle de beaucoup de torturés. Ce que l’on sait c’est que le général ne voulait pas en arriver là. Qu’il a été désobéi par beaucoup de ses commandants […] beaucoup de ses opposants l’on comparé à Hitler…
          – Ooooooooooooooooo (un cri de consternation général de cette noble assemblée de retraités yankees)
         – Mais tout ça est très exagéré. On sait que le général était un homme bon, qui aimait beaucoup sa famille et les enfants.
Je re vomis. Mais le pire est dans la fin de cette brillante intervention.
       
         – Alors aujourd’hui il y a une bataille d’experts. Combien de morts ? 2.000 ? 3.000 ? Difficile à dire. (Nb : certains experts parlent de 50.000 dans les premières semaines du coup d’état !) Mais si l’on compare à ce qui s’est passé en Argentine, on peut dire que la répression au Chili a été modérée. Presque 100.000 morts pour 35 millions d’habitants en Argentine contre 3.000 pour 17 millions d’habitants au Chili. On ne peut pas comparer.
De comprendre ce que j’entends et qu’à 2 mètres je vois mes potes, survivants, torturés, dont certains ont eu la moitié de la famille décimée, comme ce jeune homme qui demain va récupérer les crânes de son père, de ses oncles et de son grand père, tous disparus le même jour et dont les corps ont été retrouvés l’année dernière et les têtes cette année… Les vainqueurs ont toujours écrit l’histoire. Aujourd’hui le tourisme de masse impose sa propre vision des événements.  Je crois que c’est après cette réflexion que j’ai vomi pour la dernière fois.
Photos à venir…

On serait bien couillon de se limiter !