Pas de Saint, pas de copain !


Sol y Lluvia

Ce jour-là nous sommes une fois de plus attablés à la terrasse du Marco Polo, devant le monument aux populations autochtones du pays. Café très sympa avec une terrasse interdite aux mineurs. Ce qui le rend encore plus sympa. On est bien, donc, à siroter une bonne pinte de Becker quand un premier groupe vient à me briser… la quiétude du moment. Une demi-douzaine d’ados, vêtus de t-shirts rouges sur lesquels est imprimé los magrados existen(les miracles existent). Ils veulent absolument faire profiter la foule de l’heureuse nouvelle. Et d’offrir des livres sur la vierge (ha, donc ils sont cathos), des peluches, des porte-clefs… La seule chose c’est qu’en retour ils demandent un bisou. Bizarrement pas un ne s’approche de moi. Ils sont des centaines ! Partout sur la place et les rues adjacentes. Et ça gueule. A chaque fois qu’un gogo accepte (et ça arrive souvent) ils se mettent à chanter « Un abrazo, Un abrazo… Alléluia ! ». Outre que ça me les hache menues, j’ai quand même motif à satisfaction. En effet ça n’a pas l’air de plaire aux autres prosélytes de la place. En l’occurrence la tripotée d’évangélistes qui squatte habituellement ici n’arrive pas à en placer une. J’ai rien contre eux mais à chaque fois que je bois une bière ici, il ne faut pas 5 minutes pour qu’un de ces hurluberlus vienne juste derrière mon oreille pour m’éclater les tympans à coup de Bonne Parole.

Comme à chaque fois que les USA font la guerre quelque part, ils ont dans leurs bagages des évangélistes. En Irak, en Afghanistan… et au Chili. Petite concession bien naturelle de Pinochet à son bienfaiteur qui l’a plus qu’aidé à prendre le pouvoir, via la CIA et l’autre enfoiré de Kissinger, Prix Nobel de la paix pour avoir mis fin à un conflit que son pays ne pouvait gagner, la guerre du Vietnam. Et là je dis : bravo l’académie Nobel, quel vision, quel courage ! Ce mec va finir dans son lit alors qu’il devrait croupir dans une prison de La Haye ! Big Up à tous ces vieux cons qui ont donné ce merveilleux prix à cette ordure. Vous n’avez pas une petite place pour Netanyahou et sa contribution à une société israélienne encore plus raciste ? Un prix posthume de physique pour Petiot et ses efforts de rapprochement des juifs de Paris avec ceux d’Auschwitz ? Un petit prix Nobel de littérature à Obispo pour avoir commis son Ile aux Oiseaux ? Putain ça m’énerve. Ça m’énerve et en même temps je m’égare. Ce qui m’énerve encore plus… Bon, reprenons.
Selon l’OMS, leChili est un des pays qui compte le plus grand nombre de cas de pathologies relevant de la psychiatrie lourde. Et beaucoup de ces pauvres bougres engrainés par telle ou telle église et qui devraient être soignés plutôt que de rester à chanter (souvent faux, mais alors faux !) sont sur cette place. Et vraiment je ne sais pas ce qui est pire : que les portes du Paradis me soient fermées pauvre pêcheur que je suis ou bien subir leurs chansons foireuses commises avec le talent d’un recalé des éliminatoires de la Nouvelle Star, ce qui tendrait à prouver que l’Enfer est bien sur Terre et précisément sur cette place.
Au Chili, pour devenir riche, nul besoin de travailler, tu crées ton église et en quelques mois t’es pénard. A toi le fric et les femmes. Bon, faut aimer déblatérer en public pendant des plombes une bible à la main, histoire de faire tes preuves mais sinon ça marche plutôt bien. T’as un nombre d’églises au mètre carré vraiment impressionnant. Les tâches de l’UMP et du FN, qui font maintenant la fête ensemble, gueulent contre l’Islam des rues mais ici c’est la cour des miracles de la chrétienté. Un garage et hop, t’as un temple. Un chiotte et hop, une salle de prière mormone. Sur ce dernier point j’exagère, les mormons ont certaines des plus belles bâtisses du coin. Avec les Jehovas. Et t’as vraiment de tout. Eglise de Jésus, du Premier jour, des Juifs pour Jésus, de la Vérité, de l’Autre Jésus (!?), Pentecôtistes, Juilletistes, Aoûtiens… C’est comme chez Ikea. Si tu ressorts sans rien t’es vraiment balaise.
Or, donc nos jeunes cathos, finissent par tous se réunir au milieu de la Plaza de Armas. Ils chantent tous ensemble, ambiance camps scout. Si t’aimes pas Hugues Aufraypasse ton chemin. Ils ont même des chansons d’auteurs communistes. Ça me fait marrer. Et là, soudain, l’hystérie. Un jeune s’avance et fend la foule comme Moïse la mer rouge. Il est habillé d’un drap blanc, de sandales et d’une couronne d’épines (en plastique les épines, hein, faut quand même pas déconner). Il y a autant de charisme chez lui que de talent comique au théâtre des 2 ânes. Mais ce n’est pas grave. On y croit. Et ça crie, et ça chante et donc, s’en est trop pour moi. La bière est finie je me casse.
Et je m’en vais au Negro Bueno. Ce lieu mythique de Santiago accueille depuis 58 ans, outre un restaurant, un bar à l’ambiance survoltée et une salle de concert, un centre social qui vient en aide aux personnes handicapées, au vieux et aux sans toits du quartier. On y apprend également à danser ou à faire du théâtre. Ce soir-là, Sol y Lluvia donne un concert gratuit en soutient à l’établissement. Car la municipalité veut transformer ce rade en couloir de bus. Le show a lieu sur le toit de l’établissement. Avec le public en bas, parfois sur la route, dansant sur les trottoirs. Saïd et un compagnon grapheur nous rejoignent. La soirée est des plus endiablées. Grand concert, grosse ambiance, grand moment (sons pris du public ici mais attention c’est le bordel !)
Et aujourd’hui, grosse surprise. Après plusieurs mois de mobilisation, nous apprenons que le Negro Bueno (le Bon Nègre, parce qu’ici aussi y’en a des biens) a obtenu gain de cause. Qu’il va pouvoir continuer ses œuvres bibinesques et sociales. Mais alors, pauvre athéopaïen que je suis, les jeunes en rouge auraient-ils raison ? ¿ Los magrados existen ? Oups ! Oye Seigneur ! Aie pitié de moi, pauvre pêcheur. Steup’
Devant le Negro Bueno.

Enorme la vue qu’ont les zicos !

Un petit apperçu des locaux.

On est vraiment sur le toit.

Oh, encore ce bonhomme avec son joli t-shirt.

Petite visite des pacos mais ils ne resteront que 5 minutes.

Tourisme 1

Pendant que le pékin moyen se gave de dinde aux marrons, le camarade Celso et moi en profitons pour visiter un peu le coin. Je narrerai plus tard notre périple au nord qui fut des plus riches. Mais pour le moment, donc, on se la joue touristes de base.

Nous sommes partis d’Iquique hier matin. Objectif : visite du désert d’Atacama. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ça a beau être un désert, qu’est-ce que c’est fréquenté ! Y’a plus d’activité ici que dans le crâne de Jean-François Copé. De même on pense spontanément que, au bout d’une journée, on doit bien se faire chier, que ça doit être bien monotone tout ce sable. Que nenni pauvres wéones que vous êtes. Le paysage change en permanence, la roche également et les couleurs ont plus de profondeur que la moindre chanson de Christophe Mae. Non vraiment une traversée des plus agréables, parsemée de mines désaffectées et de sites de géoglyphes. Pour ce qui est des mines, on croise surtout des mines de salpêtre. Cette partie du Chili appartenait jusqu’en 1879 à la Bolivie et au Pérou. Mais ces salauds de rosbifs ont forcé la paluche des chiliens pour qu’ils fassent la guerre à ses voisins, pour mettre la main sur ce territoire plein de ce bon produit très utile pour faire des explosifs. Et la couronne de la perfide Albion en avait bien besoin du salpêtre, pour continuer à niquer la gueule des négros et des jaunes et, à des fins purement civilisatrices, étendre son empire… Aujourd’hui on croise encore des usines en plein désert. On y produit du nitrate par exemple.
Premier arrêt : Calama. La grande ville du désert, située à quelques 2.500 m d’altitude et entièrement dévolue à la plus grande mine de cuivre du coin. Il n’y pleut jamais. Au max 5 mm en un an. Grand max. La ville est franchement pas très belle, les rares commerçants croisés pas vraiment sympas et en plus Don Celso me rappelle qu’en 73 la grande majorité des mineurs a fait grève pour emmerder Allende et aider les putschistes. En somme, ce bled ne m’est pas très sympathique. Confirmation plus tard en nous baladant. On passe devant le monument au fusillés et disparus de la dictature. C’est juste un pauvre bloc de béton avec une plaque en cuivre pauvrement fixée. Et quand en plus on apprend de la bouche d’un artisan que la mairie emmerde les artisans locaux pour imposer des officines de souvenir bon marché made in china au détriment de créateurs aymaras et quechuas pour faire plaisir aux touristes. Non, vraiment, vivement qu’on se casse.
Seule bonne chose à Calama, ce genre d’affiche
Et on se casse le lendemain. On cherche en vain un rade pour prendre un petit déj’ mais comme on est le 25 décembre, tout est fermé. Vivement que ce pays se tape son Emmanuel Macron, histoire d’ouvrir un peu plus les jours fériés et moins faire chier les touristes. Je crois que l’homme sud-américain n’est pas assez rentré dans l’histoire. Il est temps qu’il grandisse et qu’il apprenne ce qu’est l’économie moderne. Mais bon, je dis ça, je dis rien. Diantre ! Une fois de plus je digresse et dix c’est beaucoup. Nous prenons la route pour San Pedro d’Atacama. En chemin nous tombons sur un mémorial. En plein rien. Ici on a trouvé une fosse commune qui date de la caravane de la mort. 26 corps ont été trouvés en ce lieu. Bon dieu, en pleine digestion. Bonjour les vacances, bonjour l’ambiance !
On arrive enfin en vue de San Pedro. Et là, la claque. Une véritable oasis de verdure. La ville est superbe, quasi pas défigurée : pas de Leclerc, pas de JC Decaux. Il fait une chaleur de chien (31° à l’ombre mais on a eu notre petit 41 en venant) et le petit mote con huesilloest plus que bien venu. Place très agréable avec des hippies en train de chanter, mais ça va. Elles ont l’air propre. Seule ombre au tableau, on est dans un des sites touristiques les plus prisés du pays. Y’a un monde ! Et ça parle français, anglais, allemand, espagnol, brésilien… A force d’aller dans des barrios, dans des manifs, de visiter des prisons ou des communautés mapuche/hippies/gauchistes j’en oublie qu’il y a aussi une vie touristique dans ce pays. Du coup je suis un peu décontenancé par la foule et par les prix pratiqués dans le coin. Le piège à cons par excellence. Heureusement nous trouvons dans un village plus loin – Toconao – de quoi assouvir nos besoins de consommation pour pas cher chez Luisa à l’atelier « El Telar ». Avec en prime une des meilleures cazuela de vacuno que j’ai mangé au restaurant « Jesmil ». Retour à San Pedro petit thé chez « 2O », l’équivalent chilien de Meli Mélo. Et hop. Kousket. Demain levé 3h pour aller voir un geyser par -15°. On n’est pas vraiment préparé, on est mal équipé et le camarade Celso avec ses mocassins risque de connaitre l’expression les avoir comme des raisins de glace. Mais quand on aime l’aventure…
Prochain épisode et le point complet sur les gonades de Don Celso, très bientôt.
Calama et le seul lieu vert.

Le monument aux assassinés et disparus de la dictature.

Toute la puissance burnesque du mineur…
Pour de vrai, cet arrêt de bus est au milieu de… Rien !

le désert…

Encore du désert…

Ah, enfin un bout de civilisation. Une mine.

Ici, au milieu de rien on a trouvé un charnier de la caravane de la mort…

San Pedro de Atacama

Deux hippies en train de chanter. Les va-nu-pieds d’Adnoz ont toutes leurs chances…

Métier à tisser de Doña Luisa

Don Celso à Toconoa

Des vers et des plus mûrs

Codpa, Caleta de Camarones
 

Il n’y a pas que du négatif avec les tremblements de terre. D’abord ça fait marcher le btp, ça évite de voir construire des centrales nucléaires de partout – je dis ça mais Sarkozy a quand même signé un accord avec son homologue chilien de l’époque pour la construction par Areva d’une bonne grosse centrale sur une zone bien sismique comme il faut – et en plus ça permet de mettre à jour des trésors cachés depuis des siècles. Ainsi, à la Caleta de Camarones, au nord d’Iquique, le dernier Terremoto a fait apparaitre des momies datant de -10.000 à -20.000 ans. Preuve qu’avant les espagnols y’avait un peu de monde dans le coin.

C’est avec Francisco Rivera que nous avons rendez-vous ce jour. Et la rencontre est des plus intéressantes. Francisco est Aymara. Outre sa lutte pour la préservation des cultures Aymaras et Quechuas – luttent rendues difficiles dans cette partie du Chili par le manque d’unité et par un certain fatalisme – il se bat  pour la préservation de ces trésors archéologiques qui nous viennent de la civilisation Chinchorro, aujourd’hui disparue. Ces momies sont les plus vieilles trouvées sur le continent. Et bien évidemment la proie de collectionneurs sans scrupules. Francisco nous emmène sur le lieu des principales découvertes. Nous passons par un bidon ville de pêcheurs, que d’aucuns appellent village. En chemin nous croisons un nombre impressionnant de bâtiments qui ressemblent aux camps de concentration pour volailles que certains crétins finis de la FNSEA appellent poulaillers. Et oui, c’est bien de cela qu’il s’agit. Un petit cadeau de Pinochet. Je rappelle qu’ici il ne pleut pas, que malgré la proximité de la mer, il fait une chaleur à crever. Que donc l’eau quasi inexistante par ici sert non pas à abreuver les populations mais à la production de mauvais – pléonasme ? – poulets en batterie. Petit cadeau donc du générale, pour remercier la population locale de son soutien.
Fransisco nous conduit ensuite à Codpa, petit village de l’Altiplano. Un véritable havre de paix et de verdure au milieu de la rocaille et du désert. Dans cet oasis on cultive vignes et vergers. Vignes dont on fait un « petit vin » de pays qui tape à quand même 20° ! Mais très bon et très fruité. Quand je disais que Pinochet avait soutien d’une partie de la population locale, Paulo Leiva, un jeune sociologue qui travaille au recensement de la population pour mettre en forme un plan d’évacuation en cas de séisme ou inondation (1 heure de pluie et la vallée est inondée ; un tremblement de terre et ce sont plusieurs tonnes de cailloux qu’on se prend sur le coin de la tronche!), Paulo, donc, nous raconte la chose suivante : lors d’une visite chez une vielle dame, maison en mauvaises pierres, sol en terre battue et chèvres qui vivent dans la salle à manger, il voit accrochée au mur, bien visible et encadrée, la photo des généraux de la junte. Qu’il reconnait évidemment de suite. Il demande alors naïvement qui sont ces gens. La dame répond que « ben les généraux pardi ! » « Ah ? Vous les appréciez ? » Et la pauvresse de répondre : « ben oui, c’était les seuls qui pouvaient nous protéger des communistes. On m’a dit que les communistes mangent les chèvres. Et comme j’ai pas envie qu’on mange mes chèvres… » Ah ben oui. Chez nous ils mangent les enfants. Au Chili ils mangent les chèvres. Y’a du progrès !
En parlant de communistes. Nous dormons le soir à Arica, la grande ville la plus au nord du pays, proche de la frontière péruvienne. Nous y retrouvons un autre camarade, David. Militant actif de l’Assemblea Constituyante. Le lendemain, après un petit déjeuné dans un rade bon marché, à écouter du Leonardo Favio, un chanteur local à la voix de Jean Ferrat, c’en est troublant, nous faisons ensemble le chemin de retour jusqu’à Iquique. Passage obligé par Pisagua, sur la côte. Il y a des lieux aux Chili où l’histoire est tellement présente qu’on ne peut que ressentir un certain malaise, comme la Villa Verdi par exemple. Mais rien, absolument rien de comparable à ce petit village de pêcheurs. Je ne suis pas des plus ouverts quand on me parle âme, esprits ou autres bondieuseries. Mais je n’ai jamais ressenti pareille tristesse. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, en 1946 je crois, le nouveau président, le radical Gabriel González Castillo, élu avec le concours de la gauche en générale et des communistes en particulier – qu’il fait rentrer au gouvernement – décide qu’en fait il s’est trompé. Que les communistes c’est caca et que ça serait bien de les enfermer et de les priver de tous leurs droits civiques. Pour 5 ans. Histoire de voir si se sont bien des hommes comme les autres où juste des bêtes sanguinaires. Et c’est à Pisagua qu’ils sont parqués et assassinés. Ce grand homme a également créé 2 camps de concentration sur les iles Mocha et Quiriquina pour y enfermer la lie de la société, à savoir ce qui restait de cocos et les homosexuels. Quelques 27 ans plus tard, Pinochet et ses affidés trouvent que Pisagua se prête plutôt bien au parcage des dangereux mangeurs de chèvres (mais là on est moins regardant sur la qualité : en plus des communistes on trouve des socialistes, des gauchistes chrétiens, des radicaux…). Et d’en faire un des pires camps de concentration du pays. Les fondations des baraquements des détenus (ils ne sont pas officiellement prisonniers) sont encore visibles et la prison est devenue un collège. Des énergies négatives impressionnantes. Avec les 3 camarades, Pato, Celso et David nous nous rendons au cimetière de la ville. Et tous de ressentir une infinie tristesse. Chacun d’eux trouve en effet le nom d’un ou plusieurs camarades gravés dans le marbre du monument aux morts trouvés dans les différentes fausses communes de la ville. Plus tard, à Iquique, Manolo, notre ami pêcheur, nous raconte les larmes aux yeux, avoir découvert lors de fouilles dans un charnier, le cadavre d’un bébé.
C’est un peu groggy, décontenancé et seul – les trois vieux dorment à peine la voiture démarrée ; je ne sais pas ce qui est pire entre conduire des ados ou des retraités, au moins avec les premiers t’as pas à changer les couches ! – que nous retournons à Iquique. J’ai le pied au plancher. Nous sommes à la bourre. Pato doit reprendre l’avion car ce con a promis à sa compagne de passer Noël avec elle… Celso et moi n’ayant pas ce genre de contingence, avons encore quelques jours de vacances dans le coin. Et on va bien se la donner !
Du désert…

Encore du désert…

Et des optique crados !

La lucha finale au milieu de rien !

Pétroglyphe

Caleta Camarones

Hommage aux peuples premiers de la région.

Pato et Francisco devant un des lieux de découverte de momies.

Site de fouilles archéologiques

Une des richesse du coin : le guano.

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Le « village » de pêcheur

Les volaillères.

des dizaines..

Approvisionnées en eau d’on ne sait où.

La vallée de Camarones
Une pompe à essence au milieu du désert.

Codpa

Son église, la deuxième plus vieille du Chili.

Lama nain

Pierre de pluie, ne me demandez pas comment ça marche.

Eglise construite en l’honneur d’un (presque) bon français bien de chez nous : San Martín de Tours.

Arica

Eglise construite par Gustave Eiffel

Pisagua

Sa prison pour cocos, aujourd’hui collège.

Le cimetière

Fausse commune

Mémorial au assassinés et disparus de Pisagua

C’est qui là, pas Yun ?


Nous partons au petit matin, les camarades Celso, Pato et moi-même, pour l’aéroport de Santiago. A la clef une petite virée dans le nord du pays. Iquique exactement. Les deux lascars ont pour projet la construction d’un monument en hommage aux presque 3.000 ouvriers (recensés à la louche) assassinés le 21 décembre 1907 pour avoir osé demander de meilleures conditions de travail. Le massacre de l’école Santa Maria de Iquique. Comme j’ai du temps libre et une passion pour les idées à la con, je me joins à eux sur ce projet.
Après une heure d’avion, premier arrêt à Antofagasta, grande ville minière du nord. On a 10 heures à tuer entre deux vols alors on visite. Passage obligé par le monument aux victimes de la dictature. Loin de tout, on marche presque une heure tellement il est loin du centre. On passe par le port de pêche histoire de manger quelques marescos. L’endroit est squatté par un groupe de loups de mer, dont le doyen s’appelle Pancho. Je me dis que la révolution n’est pas très loin si Pancho vit là.  Ici tout, absolument tout fait penser à la mine. Les publicités, les peintures murales, les statues, les graphs’. Même dans l’avion, le magazine de la compagnie aérienne publie des réclames d’universités qui forment aux métiers de la mine, de boutiquent où l’on peut acheter un casque de chantier, un marteau-piqueur… C’est vrai, il y a aussi une pleine page sur le prochain concert des Melvins en Argentine et un bel article sur la tournée de Primus (impensable dans la presse française), mais quasiment toutes les pubs ont à voir avec l’industrie minière.
Arrivés finalement à Iquique en début de soirée. On se rend à l’Hostal del Español, qui appartient à Manolo, président d’un syndicat de pêcheurs artisanaux. Aujourd’hui il ne pêche plus. Sa principale embarcation – un petit 17 mètres – a été démolie lors des séismes des 1ers et 2 avril 2014. Respectivement 8,2° et 7,8° sur l’échelle de Richter. Terremotos suivis chacun d’un tsunami. Manolo a bien un autre bateau, mais seulement 7 mètres. Insuffisant pour retourner pêcher  en pleine mer. Et en plus il n’a pas de quoi payer le renouvellement de son permis de pêche. Comme beaucoup de ses collègues. Et ce au seul profit des grosses flottes. Souvent étrangères.
Autre victime du séisme, la zone de Las Dunas.  Les habitations d’Iquique n’ont quasiment pas subies de dégâts. Sauf ici, dans ce quartier pauvre dans les hauteurs de la ville. Ici presque la totalité des bâtiments a été évacuée par les autorités. Tous menacent de s’effondrer. Mais comme il n’y a pas de vraies solutions de relogement, beaucoup de familles restent sur place. Attendant la prochaine secousse. Et on est certain que la prochaine aura lieu ici. La terre tremble tous les jours un peu. Certains habitants disent l’entendre la nuit. Comme un ronflement. Et de fait, en regardant la carte sismique, on peut voir une activité quotidienne dans ce secteur. L’inaction des pouvoirs publics fait peur à voir. Et le peu de soutien que l’on peut apporter est plus que bienvenu.
Les « festivités » autour de la commémoration de la matanza de Iquique commencent le samedi soir par la projection d’un court-métrage (pas beau mais instructif) sur cette journée du 21 décembre. Puis petit cocktail accompagné de musiciens de la pampa. Le lendemain midi, rassemblement à l’endroit qui fut jadis l’école Santa Maria. Meeting instructif du principal syndicat de travailleurs, le CUT, en plein cagnard – d’une manière générale, je ne sais pas pourquoi, mais les chiliens aiment à manifester en plein cagnard ; en fin d’après-midi il fait doux et il y a de l’air mais non, on préfère bien en chier, une manière d’expier ? De se dire qu’on a été vilaine ? Il y a sur place un groupe folklorique (des vieux qu’on a sorti de l’hospice) et un chanteur qui reprend du Jara. Très cool moment sauf cette mise en bouche totalement incroyable pour moi où le patron du syndicat fait chanter l’hymne national avant de commencer. Surréaliste ! Surtout pour moi qui chie avec le même enthousiasme sur voue la même passion à la marseillaise, au drapeau tricolore et au Gwen ha Du. A vous lire !
Et le soir venu, le bonheur en barre. Après un groupe de rap (La Mano) et un autre de musiques chiliennes (Alfa America), après quelques très bons discours, après une poétesse rendant hommage au 43 du Mexique, un pur moment d’extase. Les Quilapayún en chair et en os pour interpréter « La Cantatade Santa Maria de Iquique » d’Aldis, dans son intégralité, accompagnés d’une troupe de danse (les Kirki Huayra)… Magnifique ! J’en ai encore la chair de poule et le kiki tout dur en y repensant. Voir ce groupe, ici, c’est comme voir Nougaro à Toulouse, assister à un match de foot au Maracana de Rio. C’est comme assister à un concert de Primordial à Dublin, boire un coup avec Renaud à la Closerie des Lilas ou supporter l’équipe de France de tennis à Genève. On est chez eux. Au milieu de leur public. La foule est à bloc, et la bonne heure de rappels n’est pas suffisante pour calmer tout ce petit monde. Un vrai moment magique.
Au final, nous avons pris de nombreux contacts (à la mairie, un député, des syndicats, des citoyens…) et le projet semble prendre. Reste à budgéter la chose, fouiller dans les archives pour trouver les noms des martyrs (chose difficile car beaucoup de ces ouvriers étaient péruviens, boliviens, argentins, autres – un des personnages les plus célèbres et peut-être la première victime était appelé Le Russe). Ce massacre étant un événement important dans l’histoire des mouvements ouvriers, et pas seulement chiliens, vous risquez de recevoir un petit appel à soutien. A vot’ bon cœur m’sieurs dames…

Antofagasta

Statue en cuivre

Convoi de cuivre

Pancho, notre révolutionnaire mexicain !

Mémorial au disparus et assassinés de la dictature

Iquique

Las Dunas

Goûter entre « voisins »

Une colonie de loups de mer. Faut juste pas les faire chier !

Mémorial du massacre de l’école Santa Maria

Le Dakar commence dans quelques jours. Cette « course sportive » d’un autre temps est Grand Cause Nationale au Chili, en Argentine et en Bolivie.

La Mano

Alfa America

Quilapayún

Mésentente cordiale

Ras-le-bol de ce pays. Je crois que je n’y suis plus le bienvenu. L’ai-je vraiment été ? Il y avait des indices pourtant, mais je n’ai pas su les voir. Et aujourd’hui… Diantre, j’enrage.

Le premier jour de mon arrivée, Pato m’invite à la Legua où il répète une de ses pièces de théâtre avec une troupe amateur. Un brûlot hippie sur une île qui représenterait tout ce que le monde n’est pas. Soit disant que les pays riches appauvrissent les pays du sud en leur volant leurs richesses, et que je te pollue, et que le plastique c’est pas fantastique, que Tío Samil est pas gentil, et que c’est pas gentil d’être méchant, que le nucléaire c’est caca, la guerre c’est mal et heureusement qu’il reste des bons sauvages qui savent bien, eux, que la Terre est vivante et que c’est grâce à leurs savoirs ancestraux qu’on va s’en sortir et gnagnagna et gnagnagna… Je ne fais pas vraiment attention à ce qui se passe et se dit tant un gosse insupportable (pléonasme, je sais) m’empêche de me concentrer. Il n’arrête pas de jouer sur son i-phoune, son à fond, ou alors il pousse des cris bizarres. Je passe l’heure à me demander s’il n’est pas complètement con ou taré ou les deux. Mais si j’avais été plus attentif, j’aurais bien sûr remarqué que cette pièce sent l’anti-France à plein nez.
La suite se passe plutôt bien. Je me sens presque chez moi. Politiquement nos deux sociétés se ressemblent, ils ont une droite qui vient directement de la junte, la notre se rapproche de Marine ; ils ont une haine féroce des envahisseurs boliviens et dominicains, nous on a des maghrébins et des roms qui mangent notre pain ; ils ont une gauche la plus conne du monde avec un PS empereur, ben nous pareil. Chiloé ressemble à la Bretagne, Viña del Mar à St-Tropez ; les santiaguinotes sont aussi bourrins dans le métro que les parisiens dans le leur… À noter tout de même une grande différence entre les comportements suburbains de ces deux villes : ce qui frappe ici c’est que même si les gens n’attendent pas que tout le monde descende pour rentrer en force dans la rame, on garde le sourire. Alors qu’un parigot préférera se coincer les balloches dans la fermeture éclaire de son futal plutôt que d’avoir l’air content, et ce, même si la rame est vide. Comme le disait la pub, « le parisien il vaut mieux l’avoir en journal ». Et moi je rajoute, « oui mais à la rubrique nécrologique ».
Vendredi, une première alerte. Je n’y prends garde, les esprits sont échauffés par… rien de spécial. Soirée sans alcool, repas tranquille. Chez Celsio, au sud de Santiago. Je me prends une première réflexion de sa sœur. J’aurais du être plus vigilant ; c’est que c’est fourbe ces trucs-la. Mais je laisse couler. Elle ne sait pas ce qu’elle dit. Et puis dimanche, la triste vérité.
Visite du Cementerio General de Santiago, un truc énorme qui ferait passer le Père-Lachaise pour le jardin potager de mon nouveau pote Pavel, anarco-vegan qui cultive ses légumes avec 2-3 pieds d’herbe parce que « faut pas déconner, vus les prix du marché ! ». On se rend devant le mausolée d’Allende, puis sur la tombe de Victor Jara et devant la stèle de Miguel Enríquez avant de finir par le mur des disparus et assassinés de la dictature. Moment encore difficile pour Pato. Le camarade Celsio refuse de nous accompagner. Lui ne peut toujours pas. Après la balade, nous nous retrouvons chez un des oncles de Carolina. Jaime. Il y a du monde, nous devisons de tout et de rien mais surtout de bouffe (sujet de prédilection ici) et tout à coup : paf ! Le paré à virer dans ma ganache. « Vous êtes des barbares machistes ! ». Presque mot pour mot les propos de la frangine de Celsio ! À deux jours d’intervalle ! Une cousine de Carolina me sort ça en lisant ma carte de visite. Nous, la France, ce phare de l’humanité dans les ténèbres de l’ignorance. Un pays de barbares machistes ! Tout ça parce que je ne porte que le nom de mon géniteur alors qu’ici on a celui du père ET de la mère. J’ai beau arguer que, oui, c’est vrai, qu’en France on se passe bien volontiers du superflu, que de toutes façons, ça les regarde pas et que depuis quelques années, le laxisme post soixante-huitard aidant, une famille peut s’abaisser à donner le nom du père et/ou de la mère, rien n’y fait.

– Et au collège ? Comment on se présente ? 
– Ben comme sur mon état civil ou sur ma carte d’identité. Je suis le fils de mon père. LE chef de famille. D’ailleurs on ne dit jamais LA chef de famille. C’est bien que ça n’existe pas.
– Pauvres femmes ! Et une femme qui se marie, elle perd son nom ?
– Normalement oui. Elle peut s’enorgueillir de ne faire plus qu’un avec son maître son époux. Mais à cause de soixante-huit tout ça… Maintenant elle peut garder son nom.
– Pauvres femmes !
Ça, elle l’avait déjà dit. Donc, devant la pauvreté de son argumentation, j’ai mis fin aussi rapidement que possible à cette discussion. Ah, le choc des cultures. Ils ne sont pas encore prêts à recevoir la lumière. ¡ Que pena ! Mais entre ce cagage de pendule pour une histoire de nom et cette pièce de hippies, décidément, je crois que je ne suis plus le bienvenu…
Pour les morts aussi c’est noël.

Pétain était un boche? Tout s’explique !

Fin de la trêve hivernale et début des expulsions…


Un petit parasol, les morts aussi ont droit à un peu d’ombre.

La tombe de Victor Jara. Très visitées.

Monument aux disparus de Paine.

Si la tierra trembla…

Je pensais vous parler de la journée internationale des droits de l’homme. Mais comme ce 10 décembre c’est aussi le huitième anniversaire de la mort de Pinochet (coïncidence des plus troublantes) et que les députés de droite se sont levé dans l’assemblée pour observer une minute de silence à la mémoire de ce grand homme, j’ai plutôt envie de vous parler d’un truc radicale pour oublier la connerie humaine…
 
Pour ce deuxième voyage au Chili, je m’étais promis de :
       me les geler miches à Puerto Edén (ce sera chose faite en janvier)
       me cramer les pinceaux à Iquique (voyage la semaine prochaine)
       goûter un Mote con Huesillo (fait la semaine dernière)
       découvrir le terrible Terremoto
Pour cette dernière volonté, je ne parle pas d’un vrai tremblement de terre, version 9° sur l’échelle qui va bien. Pas ce truc tout juste bon à réveiller un insomniaque et qui fait toujours la une des journaux en Bretagne.  « Houlalala, on a eu chaud. 2,5° sur l’escabeau de richter… quelle aventure ! »
Non, je parle de ce cocktail chilien qui ravage les neurones, rend les jambes molles et donne l’impression d’être sur le pont avant d’un rafiot par force 25. Ici on dit qu’on en boit deux maximum. Allez, 3 si on est en forme. Après on ne répond plus de rien.
Il y a quelques jours nous sommes invités à la fête qui suit le baptême d’un neveu de Carolina. On me propose un verre de cette boisson. « Super », dis-je tout de go, « je vais enfin goûter à ce breuvage ». « Mais enfin weon, tu connais déjà » on me rétorque en riant. « Souviens-toi l’année dernière ». Tout de suite ça fait film de série Z. Et effectivement lorsqu’on me tend le verre, je reconnais la chose. Et je frémis. Petit retour en arrière.
Lors du nouvel an dernier, nous avons été invités à Buin, dans la maison de vacances de la famille de Carolina pour y passer el año nuevo. Vers minuit, son père sort une grande jatte et y fait une tambouille à base de grenadine, d’un ersatz de champomy et de beaucoup de glace à l’ananas. Plus un autre truc que je ne vois pas. Comme je commençais à être fatigué par trop de voyages, de pisco et de vin rouge, je décidais sagement de passer à ce cocktail sans alcool. C’était pas mauvais. Un peu trop sucré à mon goût. Mais il n’y a pas d’eau sur la table alors… J’y retournais pour me servir à nouveau. Une fois. Deux fois. Trois fois. Quatre… Bon après, tout ce que je sais, c’est que je me suis réveillé 6/7 heures plus tard. Avec un mal de crâne à décorner une femme de président. On me dit que j’ai bu de ce truc toute la nuit, sans m’arrêter. Et que c’était marrant, que je parlais tout le temps. Même si au bout d’un moment, me comprendre était vraiment pas aisé, que quand j’étais boracho on pouvait trouver autant de purée dans ma bouche que dans celle de Booba agen (bon ici ils connaissent pas le gazier mais c’est l’idée). Intrigué de ce trou noir, je m’en vais vers les poubelles. En examinant les cadavres de la veille, je me suis rendu compte que ces bouteilles toutes colorées, avec plein de paillettes sur les étiquettes, étaient en fait des bouteilles de vin mousseux local et que l’ingrédient mystère, une grosse dose de pisco.
Voilà mesdames, messieurs, l’horrible vérité toute nue. Avec le terrible Terremoto, effectivement la terre tremble, mais pas tes neurones. 
 

Le lieu du drame, un an après. Tout à l’air si tranquille, mais tout ne tient qu’à un fil…

Ce que Juan a fait…

Je suis plutôt matinal aujourd’hui. J’ai pour mission d’aller accueillir une célébrité à l’aéroport. Pato et Carolina s’engueulent à ce sujet. Un technicien pour internet doit passer nous rétablir le réseau (il ne viendra pas), Pato doit rester à l’attendre et Carolina pense que je vais me perdre. Ambiance. Mais bon, pas plus con qu’un autre, j’arrive à destination. Problème je ne connais ni l’heure ni le vol du camarade. Seule certitude, les arrivées d’Europe et d’Amérique (nord et sud) c’est entre 9h30 et midi. Y’a plus qu’à… La télévision est là qui attend l’arrivée de la star. Je me précipite vers l’entrée quand je vois le caméraman s’exciter. Il allume son projo et commence à filmer. Comme je ne suis pas grand (c’est un doux euphémisme) je ne vois pas la estrella approcher. Je m’apprête à gueuler son nom pour qu’il me voit mais juste à ce moment je croise le regard de l’objet de la convoitise journalistique. Une bimbo sur-refaite ! C’est pas mon pote. Merde alors. Y’a des gens plus connus que Saïd ici ? Les bras m’en tombent.
Après plus de deux heures, je rebrousse chemin. J’apprendrai plus tard qu’on s’est loupé à 5/10 minutes. Et que le camarade était attendu par une vraie star chilienne chez qui il va loger pendant ce nouveau séjour. Juan Ayala. Leader d’un groupe nommé Juana Fé. Saïd m’invite le soir même à un concert du bonhomme. Un projet solo. J’y vais seul car Patricio doit répéter sa pièce de théâtre dans un centre culturel de la Legua. Je vous en parlerai plus tard, de ce torchon gauchisant.
La soirée est parfaite. Un truc de déglingos, comme on dit chez les gens qui disent encore « déglingo ». Le concert à lieu dans l’amphithéâtre du Museo de las Bellas Artes – le musée des Beaux Arts. En première partie un groupe belge, Xamanek. Une fratrie (deux frères une sœur) d’origine chilienne accompagnée d’un percussionniste d’origine marocaine (mais profondément belge). Cette soirée est très spéciale pour eux. Et très émouvante. C’est la première fois en 21 ans qu’ils reviennent ici. Leur père a été assassiné par la junte en 1981. Ce sont des enfants de l’exil, comme ils disent. Ils ont pu enregistrer un nouvel album à Santiago et ils le présentent pour la première fois, avant de reprendre l’avion demain. Ils sont accompagnés de trois autres saltimbanques du coin. Très chouette moment.
À l’entracte, Saïd et moi partons à la recherche d’une épicerie de nuit. On s’offre chacun une petite bouteille de pisco sour, qu’on sirote comme deux lascars dans la rue et qu’on fini dans la salle. Ici se faire pincer à picoler dehors coûte à peu près 100 euros d’amande. Mais on est des rebelles. Rien à foutre ! De la pure caillera. Wech gros. Truands de la galère en force…
Le concert de Juan est excellent. Des cuivres, des guests… tout est pour le mieux. Sauf qu’il se termine après le dernier métro. Pas de bol, je vais être obligé de dire oui à l’invitation à l’after. Merde alors ! On monte donc dans une bagnole, un utilitaire, cinq derrière sur un matelas pour le confort et des puces pour ne pas squatter, et on arrive dans un lieu nommé la Maquineria. Grosse teuf, bonne ambiance, mais le pisco a eu raison de moi un peu vite. Plein de rencontres, de belles discussions, mais à 3h30/4 heures, je décide que mon taux d’alcool est largement suffisant. Je m’esquive et hèle un taxis. La fatigue (oui, la fatigue !) aidant je lui donne une mauvaise adresse. Après un détours d’au moins 20 mn, j’arrive finalement à bon port, sous la pluie et ruiné. ¡ Puta madre ! Il était temps. Je n’aurais pas aimé donner raison à Carolina.
Ce week end, pas de papier. Lundi, c’est férié et trois jours de fêtes sont en vue à Buin, au sud est de Santiago. Nous allons squatter une maison de famille en pleine campagne, piscine, grillades, fruites de mers, cordillère en fonds visuel. Saïd, Juan et Mía – sa compagne, sociologue spécialisée dans les conflits paysans et du statut des femmes au Brésil – seront de la partie. Une occasion rêvée, dès mardi, de vous parler de ma rencontre avec cet excellent breuvage de fiesta qu’est le terrible Terremoto.

Quel beau t-shirt il a Saïd !

Saïd, Juan, Mia et Pato avant l’arrivée de la famille.
Le premier piaf que je vois. pas foutu de le photographier correctement pour Nico

Autogestion et poisson pané

Ce jeudi, nous sommes invités par el amigo « El Doctor » Alejandro à nous rendre dans un lieu bien singulier : La Casa de la Cultura. Un centre culturel en plein milieu de la Legua, ce grand barrio de Santiago connu ici pour sa grande pauvreté, sa violence et ses narcos. Bon la Legua c’est bien sur bien d’autres choses, mais les stéréotypes ont la vie dure. Alejandro me demande quand même de ne pas prendre de photos dehors. Pas par peur d’attirer l’attention d’un voleur quelconque qui me ferait les poches (le sac en l’occurrence). Non, plus pour ne pas qu’un narco puisse se sentir observé. Sont sensibles ces gens-là. Même s’ils sont protégés par les pacos du coin, corrompus jusqu’à l’os, ils ont un peu peur de tomber sur un journaliste ou un policier honnête. Sur ce dernier point, dans ce quartier, c’est vrai que ça serait VRAIMENT pas de bol !
Nous arrivons donc à pied au Centro Cultural. Pas de contrepèterie. C’est un lieu autogéré, qui ne veut pas être assimilé à la politique culturelle de la ville ni aucune autre. Le bâtiment appartient à un riche propriétaire qui en chie un peu pour récupérer son bien. Mais à chaque fois qu’il lance une procédure judiciaire, ça lui coûte du pognon et ça ne lui sert à rien car les camarades restent ou reviennent (selon les décisions de justice). Grande salle, belle cuisine, des bureaux… les gaziers ont organisé le lieu à leur sauce. Ils n’ont de comptes à rendre à personne et surtout pas à la mairie (communiste) de la Legua. On trouve ici une école libre et l’on y propose des ateliers divers et variés. Un vrai beau lieu militant au cœur du barrio.
Aujourd’hui, à l’occasion d’une manifestation culturelle, « América latina desde abajo » (que l’on pourrait traduire par Amérique latine vue d’en bas) le centre reçoit plusieurs auteurs et propose un moment de convivialité. Avec une heure de retard (comme le dis avec malice un camarade : au Chili on aime la ponctualité), une quarantaine de personnes profite d’un excellent repas offert avec les moyens du bord (mais quels moyens !) : salades en tout genres, à la mode chilienne, poisson frit, riz, le tout arrosé de jus de fruits maisons et surtout de borgoña, sorte de sangria locale. Du vin rouge pour le coeur, des fruits rouges pour la santé et des glaçons pour la fraîcheur. Comme pour le terrible Terremoto – dont la narration de la rencontre est encore reportée à demain sauf s’il me reste du temps – que du bon, mais faut pas en abuser, je sens que ça a vite fait de taper. Alejandro me parle de l’équivalent vin blanc de la borgoña : el ponche, fait avec des fruits comme l’abricot, l’ananas… Ça a l’air bien aussi. Bref…
Après cet excellent repas, on range les tables et on cause. Sujet du jour : l’autogestion en Amérique latine. Je mentirais si je disais avoir tout comprit. Mon niveau de castillan n’est pas encore au top et la chaleur écrasante (presque 30° à l’intérieur) m’a un peu assommé. Rien à voir avec un excès de borgoña ! Autour de la table, des gens de la Legua, un auteur argentin, deux uruguayens, un italien. La discussion est passionnante. Ce qui m’impressionne c’est que chaque orateur peut développer sa pensée sans risquer d’être coupé. Certains peuvent jacter plus de 10 mn sans être emmerdé. Une très grande écoute. Quand je pense à mes premières réunions d’Ingalañ où l’on pouvait être coupé au bout de 15 secondes ! Mais ça c’était avant.
Les idées fusent et l’on aborde tour à tour la main mise des multinationales, les luttes indigènes, la nécessité d’une assemblée constituante, ou pas, le besoin de s’organiser sans rien attendre des pouvoirs en place (et encore moins des communistes – ceux du parti – qui semblent particulièrement peu appréciés ici aux vus des retournements de veste de certains dirigeants une fois arrivés au pouvoir). Seul l’uruguayen me laisse circonspect. De bonnes idées le bougre mais quand il dit que les luttes sociales et environnementales sont tenues par les femmes et que sans elles pas de combat… On ne va quand même pas les féliciter de faire quelque chose de leurs journées, pendant qu’elles manifestent qui s’occupe des gosses ? Je sais c’est gratuit. J’ai moi-même constaté que la grande majorité des manifestations étaient organisées par des nanas. Elles sont sur tous les fronts. Bachelet avait promis des avancées en matière de droit des femmes, mais comme on dit, les promesses n’engagent…
On termine cette journée par le fafane, moment de communion, avec un cri qui fait à peu près : « yayayayayayayaaaaaaa » (le hurler très aigu). Normalement ça se fait deux fois, mais une des représentantes (mapuche) du lieu demande qu’on en fasse quatre, suivi d’un Marichiweu (dix fois nous vaincrons) des familles. Une bien belle journée, pleine de bonnes énergies. Mais demain : rencontre avec une autre star locale. Surprise…

 

La Casa de la Cultura

Pas de narcos en vue, on peut prendre UNE photo sans se faire dessus.

Spéciale dédicace à Jil qui aime à mettre l’Amérique Latine à l’envers

La Maison du Soleil

Santiago, 2 décembre. Aux environs de midi heure locale.

Température extérieure : 34°. Ressentie : 50°.
Rendez-vous avec Celsio. Un vieil ami de Pato. L’objectif : aller ensemble à l’ambassade d’Autriche. Un amour commun des pantalons de peau à bretelles et des petits chapeaux à plume nous pousse à nous rendre sous un soleil de plomb aux bureaux de la délégation teutonne afin de rendre un vibrant hommage à ce peuple qui a offert au monde les valses les plus sirupeuses et ainsi rendue possible la célébrité d’André Rieu. Ça et une action de militants écolos venus en ce lieu pour faire le maximum de bruit. Et je dois bien avouer que le rapport nombre de participants/niveau sonore est des plus impressionnants. Un bruit incessant dû à l’utilisation de bouteilles d’eau vides (le détail a son importance) et la répétition de refrains criés à tu-tête fait rapidement mal au crâne. Mais c’est marrant. Cette action préfigure une manifestation d’importance le 13 de ce mois. Dans le viseur de ces dangereux ennemis du progrès, le projet hydroélectrique d’Alto Maipo. Je l’avais déjà évoqué rapidement lors de mon précédent voyage, mais il semble que les choses se précisent. Avec une actualité assez amusante en plus. Voilà le topo. L’idée est de construire deux centrales hydroélectriques, alimentées par la captation des eaux des affluents du Río Maipo qui fournit 80% de l’eau potable de la région de Santiago. Et pour ce faire il va falloir mettre dans 70 km de tuyaux les Ríos Volcán, Yesoet Colorado et défigurer ainsi ce site naturel. Il se trouve que l’entreprise chargée du projet est autrichienne. D’où notre présence.Bon, rien de nouveau sous le soleil me direz-vous, une grosse boîte pour se faire de l’oseille va poly violer Mère Nature avec l’assentiment d’un pays dit civilisé. Oui mais là où l’histoire prend tout son sel c’est quand on apprend que l’électricité fournie par ces centrales doit aller direct au nord du Chili, pour faire tourner des mines qui appartiennent à la famille Luksic. Un milliardaire d’origine croate qui a fait fortune en découvrant une mine d’or. Et ce monsieur vient de s’illustrer en offrant devant les caméras de toutes les chaînes nationales 2.500.000.000 de pesos (3.304.062,68 euros) à l’écoeurant Teletón. Ce chanceux cynique a fait d’une pierre deux coups : il s’exonère d’impôts et il fait chialer la ménagère pour qu’elle soit plus compréhensive. Elle n’aura plus d’eau potable et un des plus beaux sites naturels du coin va être détruit, mais « les petits myopathes avaient l’air tellement content ! »
Après cette entrée en matière gauchiste, un bref passage par la Vega Central (un marché couvert) où nous déjeunons dans un petit bouiboui fort sympathique, le Karlita. Je recommande. Pescacito con arroz y ensalada. Traduction, poisson panné riz et salade. C’est moins glamour. Mais c’était vraiment bon, pas cher et en plus les serveuses (boliviennes et charmantes) n’arrêtent pas de t’appeler « mí amor », ça a son charme.
Petite visite du quartier Patronato, le quartier palestinien (une des plus grandes communautés de la diaspora palestinienne au monde) et nous arrivons à la Casa del Sol. Dans ce superbe lieu, mes deux compagnons me présentent Amaro Labra, le chanteur auteur compositeur d’un groupe mythique au Chili : Sol y Lluvia. Ils viennent de fêter leurs 35 ans de carrière. J’ai eu plaisir à les voir sur scène l’année dernière et nous les reverrons dans quelques jours. J’adore ce groupe pour ce qu’il représente. Ils ont commencé sous la dictature, ont chanté sous et contre la dictature et même si Amaro m’avoue qu’en 88, profitant d’une tournée au Canada ils se sont tâtés pour s’exiler, ils sont revenu (un en prétextant que sa femme et ses gosses l’attendaient – j’ai pas bien compris en quoi c’était une bonne raison – et les autres après la victoire du No lors du référendum, pas folle la guêpe). Rien à voir avec ces branleurs qui fuient la dictature socialo communiste française pour payer moins d’impôts ! Ces mecs ont chanté des horreurs sur Pinochet PENDANT la dictature (AdiosGeneral). Et ils sont encore là. Ce qui me fait dire que, bon, c’est vrai que les militaires sont un peu soupe au lait. On ne va pas le nier. Mais c’est bien la preuve qu’ils peuvent être compréhensif et mélomane. Un bon massacre pour tuer le temps, un viol collectif pour se lâcher et ça y est. On est plus enclin à se montrer magnanime et attentif. Ce sont de grands enfants après tout. Comme le disait fort à propos Desproges en son temps : « dans Pinochet il y a hochet ».
Amaro me fait visiter les lieux et franchement ça me plait. Sur trois étages, on trouve des salles de classe ; des ateliers de : mosaïque, yoga, pilates, ballet, origami, dessin, gravure, faïence ; un restaurant salon de thé avec une carte des plus attirantes (y’a même du végétarien) ; une salle de spectacle, une autre de conférence. De quoi accueillir des artistes en résidence, les exposer, les faire jouer, répéter… Et même de quoi les aider à assurer une bonne promotion. Le tout administré collectivement. Je suis sous le charme. De plus je sais par les deux lascars qui m’accompagnent que Amaro met une grosse part de ses cachets dans ce projet. Il redistribue presque tout. Classieux !
Au retour nous faisons halte Plaza de Armas afin que je connaisse enfin le Mote con Huesillo, une curiosité à base de fruits séchés au soleil (ici des pêches), réhydratés dans un sirop et dans lequel on rajoute du blé. C’est frais et par ces chaleurs c’est plus que bienvenu (même si très sucré et que nous nous empressons de trouver une terrasse pour nous désaltérer à la bière !). On trouve des marchands ambulants de ce breuvage absolument partout. C’est une des boissons nationales du Chili. Avec le terrible Terremoto, dont je vous conterai ma rencontre… heu… demain ?

Un peu de son pour illustrer ici et ici

Le Karlita. Pas d’autres photos, Celsio me déconseille de sortir l’objectif. Un peu trop de vols à la tire…

Quartier palestinien Patronato

On trouve toutes sortes de bouffes.

La Casa des sol…

son bar/restauration…

Salle d’exposition..

Gravures de Natacha Campos Ordenes

Amaro Labra de Sol y Lluvia

Céramique de Daniela Mendez

Sous le signe de l’Hexagone

Je dis souvent qu’il y a de grandes similitudes entre ces deux grandes démocraties – oui moi aussi je m’étrangle en l’écrivant – entre ces deux grandes démocraties, donc, que sont le Chili et la France. Et le plus souvent pour le pire. Hyper centralisation étatique, négation des minorités culturelles et linguistiques, peu de diversité médiatique… démocrature. Démocrature, c’est rond en bouche et sonne plutôt bien à l’oreille. Un très joli néologisme pour un concept entendu de plusieurs amis chiliens. Je ne sais pas si la paternité leur incombe. En tout cas, c’est un terme que je fais mien bien volontiers. Démocrature. En gros, un régime qui laisse accroire à la souveraineté du peuple par l’accès que celui-ci a aux urnes mais dont l’expression de sa volonté ne lui sera pas accordée – rappelez-vous le référendum sur la constitution européenne. Je peux deviner l’origine du mot aux suites de la concertación, période qui a suivi le référendum qui a sorti le Chili du paradis de Pinochet/Kissinger/Friedman. C’était un moment important de discussion qui devait permettre de sortir en douceur du « défunt » régime pour aller vers une organisation sociale plus fidèle aux aspirations du peuple. Or, il s’avère que fondamentalement, les choses, d’un point de vue institutionnel et social, n’ont pas vraiment bougé. Les fortunes faites pendant et grâce à la dictature n’ont pas été redistribuées, la droite à un véritable droit de veto empêchant toute avancée sociale, amnistie générale des anciens tortionnaires (Pinochet sénateur à vie), le pays appartient littéralement à des multinationales et surtout, la constitution reste celle créée par Pinochet him-self (d’où le mouvement actuel pour une Assemblée Constituante). Avec les socialistes à la négociation, le changement c’était pas maintenant. Ni plus tard.
Non seulement il y a de grandes similitudes entre la France et le Chili mais en plus ces deux pays ont tendance à se rapprocher de la plus vile des manières. Il y a quelques jours deux informations se croisaient sans émouvoir ni a Santiago, ni à Paris. À Paris d’abord où une avocate chilienne a été arrêtée et enfermée à sa descente de l’avion à Roissy. Son tort, être une militante des droits de l’homme, en tournée en Europe avec un autre avocat, Rodrigo Román – que j’ai eu le plaisir de rencontrer l’année dernière, il était l’un des deux défenseurs de Daniel Melinao, ce mapuche accusé du meurtre d’un carabiniero(mais totalement innocenté après qu’il eut été prouvé lors du procès que ce bon paco s’était fait dessouder par un de ses camarades). Nos deux abogados sont sur le vieux continent pour parler des graves manquements aux libertés fondamentales qui sont toujours aussi fréquents au Chili. Cette chère María Ribera s’est vue jeter à la gueule son passé de militante. Il semblerait en effet que pour la police française qui l’a séquestrée, avoir été une ardente opposante à Pinochet soit une tache indélébile et rédhibitoire sur un CV. Étonnant, non ?
La deuxième affaire à lieu ici au Chili. Où une juge demande à la France l’extradition de Francisco Ismaël Peña Riveros. Sa faute? S’être échappé de la prison de Santiago en 1990. Ben oui, ce couillon s’est fait la malle (avec 49 autres couillus !) avant de terminer la peine que lui a infligée le régime après avoir obtenu ses aveux (sous la torture). Un sens civique en dessous de tout ! Et c’est pourquoi cette brave juge Claudia Pamela Salgado Rubilarréclame bien légitimement à la France de lui renvoyer par courrier postal ce contempteur du droit qui a quand même le statut de réfugié politique dans l’hexagone. Comme elle a bien comprit que la parole donnée n’a pas de valeur sous nos latitudes (cf Cesare Battisti) elle a bien raison de demander. On ne sait jamais ! Pour l’heure je ne sais pas quelle est la réponse de Hollande, je ne pense pas qu’il aille plus loin. Mais s’il venait à abonder dans le sens de la pasionarias des brebis égarées se serait à coup sûr un véritable séisme pour l’image internationale de la patrie des droits de l’homme (putain je m’y fait pas).
Tiens donc, en parlant de séisme, j’avais presque oublié. Comme avec ces histoires il commence à se faire tard, promis, demain je vous parlerai de ma rencontre avec le terrible Terremoto.

Pas d’inspiration pour illustrer le sujet. J’ai bien la photo de la juge mais elle a une vraie tête à claques. Ça gâcherait !