Ce jeudi, nous sommes invités par el amigo « El Doctor » Alejandro à nous rendre dans un lieu bien singulier : La Casa de la Cultura. Un centre culturel en plein milieu de la Legua, ce grand barrio de Santiago connu ici pour sa grande pauvreté, sa violence et ses narcos. Bon la Legua c’est bien sur bien d’autres choses, mais les stéréotypes ont la vie dure. Alejandro me demande quand même de ne pas prendre de photos dehors. Pas par peur d’attirer l’attention d’un voleur quelconque qui me ferait les poches (le sac en l’occurrence). Non, plus pour ne pas qu’un narco puisse se sentir observé. Sont sensibles ces gens-là. Même s’ils sont protégés par les pacos du coin, corrompus jusqu’à l’os, ils ont un peu peur de tomber sur un journaliste ou un policier honnête. Sur ce dernier point, dans ce quartier, c’est vrai que ça serait VRAIMENT pas de bol !
Nous arrivons donc à pied au Centro Cultural. Pas de contrepèterie. C’est un lieu autogéré, qui ne veut pas être assimilé à la politique culturelle de la ville ni aucune autre. Le bâtiment appartient à un riche propriétaire qui en chie un peu pour récupérer son bien. Mais à chaque fois qu’il lance une procédure judiciaire, ça lui coûte du pognon et ça ne lui sert à rien car les camarades restent ou reviennent (selon les décisions de justice). Grande salle, belle cuisine, des bureaux… les gaziers ont organisé le lieu à leur sauce. Ils n’ont de comptes à rendre à personne et surtout pas à la mairie (communiste) de la Legua. On trouve ici une école libre et l’on y propose des ateliers divers et variés. Un vrai beau lieu militant au cœur du barrio.
Aujourd’hui, à l’occasion d’une manifestation culturelle, « América latina desde abajo » (que l’on pourrait traduire par Amérique latine vue d’en bas) le centre reçoit plusieurs auteurs et propose un moment de convivialité. Avec une heure de retard (comme le dis avec malice un camarade : au Chili on aime la ponctualité), une quarantaine de personnes profite d’un excellent repas offert avec les moyens du bord (mais quels moyens !) : salades en tout genres, à la mode chilienne, poisson frit, riz, le tout arrosé de jus de fruits maisons et surtout de borgoña, sorte de sangria locale. Du vin rouge pour le coeur, des fruits rouges pour la santé et des glaçons pour la fraîcheur. Comme pour le terrible Terremoto – dont la narration de la rencontre est encore reportée à demain sauf s’il me reste du temps – que du bon, mais faut pas en abuser, je sens que ça a vite fait de taper. Alejandro me parle de l’équivalent vin blanc de la borgoña : el ponche, fait avec des fruits comme l’abricot, l’ananas… Ça a l’air bien aussi. Bref…
Après cet excellent repas, on range les tables et on cause. Sujet du jour : l’autogestion en Amérique latine. Je mentirais si je disais avoir tout comprit. Mon niveau de castillan n’est pas encore au top et la chaleur écrasante (presque 30° à l’intérieur) m’a un peu assommé. Rien à voir avec un excès de borgoña ! Autour de la table, des gens de la Legua, un auteur argentin, deux uruguayens, un italien. La discussion est passionnante. Ce qui m’impressionne c’est que chaque orateur peut développer sa pensée sans risquer d’être coupé. Certains peuvent jacter plus de 10 mn sans être emmerdé. Une très grande écoute. Quand je pense à mes premières réunions d’Ingalañ où l’on pouvait être coupé au bout de 15 secondes ! Mais ça c’était avant.
Les idées fusent et l’on aborde tour à tour la main mise des multinationales, les luttes indigènes, la nécessité d’une assemblée constituante, ou pas, le besoin de s’organiser sans rien attendre des pouvoirs en place (et encore moins des communistes – ceux du parti – qui semblent particulièrement peu appréciés ici aux vus des retournements de veste de certains dirigeants une fois arrivés au pouvoir). Seul l’uruguayen me laisse circonspect. De bonnes idées le bougre mais quand il dit que les luttes sociales et environnementales sont tenues par les femmes et que sans elles pas de combat… On ne va quand même pas les féliciter de faire quelque chose de leurs journées, pendant qu’elles manifestent qui s’occupe des gosses ? Je sais c’est gratuit. J’ai moi-même constaté que la grande majorité des manifestations étaient organisées par des nanas. Elles sont sur tous les fronts. Bachelet avait promis des avancées en matière de droit des femmes, mais comme on dit, les promesses n’engagent…
On termine cette journée par le fafane, moment de communion, avec un cri qui fait à peu près : « yayayayayayayaaaaaaa » (le hurler très aigu). Normalement ça se fait deux fois, mais une des représentantes (mapuche) du lieu demande qu’on en fasse quatre, suivi d’un Marichiweu (dix fois nous vaincrons) des familles. Une bien belle journée, pleine de bonnes énergies. Mais demain : rencontre avec une autre star locale. Surprise…
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La Casa de la Cultura |
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Pas de narcos en vue, on peut prendre UNE photo sans se faire dessus. |
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Spéciale dédicace à Jil qui aime à mettre l’Amérique Latine à l’envers |