Ein Reich, ein Wolke, ein Republik



Interlude :
– Question géographie maintenant.  Je vous rappelle que Bob EBOBETTE joue pour une CIN-QUIEME victoire mais que son challenger Lucas TOIPOVCON n’est plus qu’à un point de gagner. Bob ?
– Je prends la main.
– QUESSSTIONNN, Géographie. Top : je suis un pays, je suis bordé par un grand océan. Constitué en République, ma dernière constitution à fait de moi un régime présidentiel créé sur mesure pour un seul homme. Les mots gravés au fronton des mairies pourrait-être Ein Reich, ein Wolke, ein Republik.
– L’Allemagne !
– Bob dit l’Allemagne. Non ! Top : J’ai signé plusieurs conventions internationales  mais même en les ratifiant  je me torche dedans allègrement, à l’image du sort que je réserve à la convention 169 de l’OIT sur les peuples autochtones et les minorités. J’ai en effet sur mon territoire des populations amérindiennes devenues citoyennes de seconde zone sans que celles-ci aient eu son mot à dire. Comme je méprise les langues régionales et autres particularisme locaux, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour déculturer ces populations. J’ai pendant longtemps pratiqué la torture que j’ai officiellement interdite, mais sous prétexte de terrorisme, j’ai bien fait comprendre au monde que le recours à cette méthode barbare et à des lois d’exceptions allaient se généraliser. J’ai actuellement à la tête de l’état un président socialiste élu sur un programme très à gauche mais comme il a autant de considération pour ses électeurs que d’envie d’attraper une chaude pisse, j’ai mis en place le programme sécuritaire et économique le plus à droite possible. Je suis, je suiiis ?
– La France !
– Lucas nous dit, sur le gong, la France, effectivement je ressemble à la France mais je suis… Le Chili ! …
Nous revenons du Wallmapu (La Araucanie pour les incultes et/ou amis des winkas) et le moins que l’on puisse dire c’est que ce pays ne cesse de m’étonner. Nous partons lundi pour Temuco, Pato, Thomas le Super gringo à la peau de rouquin neurasthénique et moi. Nous sommes rejoints par un quatrième larron. Plutôt une larronne si j’en juge par les formes peu masculines de Myriam, c’est son prénom, jeune et jolie donzelle que nous rencontrâmes à La Serena, errant comme une âme en peine après le désistement de son compagnon de voyage. La jouvencelle étant à la recherche de sensations fortes, c’est donc avec plaisir que nous lui avons proposé de nous accompagner dans cette « Croisière s’amuse » en territoire mapuche. Et comment aurait-elle pu résister à cette régalade d’aventures faites de rencontres en prison, de réunions interminables, de dizaines de bornes en voiture sur des sentiers cahoteux, agrémentés des ronflements nocturnes de ses trois coreligionnaires ? Hein, comment ?
Et la première activité je ne vais pas en parler parce que ce Trawun, rencontre, je ne l’ai pas vue. Il s’agissait d’une cérémonie publique mapuche à la prison de Temuco pour le MachiCelstino Cordoba, le journaliste Felipe Duran et Victor Maricao, trois « terroristes » que la justice chilienne garde précieusement en ces murs, sans preuve ou à base de procès truqués. Mais comme j’ai eu plaisir à chopper une belle otite, je suis resté tranquille dans mon lit. De sorte que je n’ai pas dansé en rond autour d’une fougère ni donné de la farine au plancher (faute de pouvoir le faire directement sur le sol de la communauté), etc…  Quelle déception. Par la suite j’ai pu me rattraper et c’est bien là l’essentiel !
Nous avons pris la route quelques jours plus tard, après que Thomas ait réussi sa presta chilienne, direction Hornopirén, en Patagonie Australe. Nous sommes invités par la Longko Juana Calfunao à un Trawun en territoire Williche (Mapuches du sud). Et là, on peut dire ce qu’on veut, mais le putain d’accueil que nous reçûmes montre que ces gens sont peut-être un peu plus civilisés que ce qu’ils paraissent. Et ce n’est pas pour faire l’anthropocentré de base mais entre le Curanto, Kig ha Farz local mais avec des moules en plus et le Mella, far sucré, je me suis senti un peu à la maison. Lors du Trawun, qui a commencé par une cérémonie hommage aux forces de l’univers pour s’assurer que tout ce passerait bien, les représentants des communautés parlent politique, action, situation, dans un calme et avec une discipline qui force le respect. Et l’on y apprend de bien belles choses entre deux repas. Par exemple que niveau lois d’exception, le Chili est vraiment en pointe. Comme on n’arrive plus à prouver le caractère terroriste des mapuches, on les envois devant des cours de justice traditionnelles, où on les condamne pour du droit commun mais avec des peines de… Terroriste. Qu’une décision gouvernementale permet aux prisonniers d’effectuer la fin de leur peine dehors avec bracelet électronique mais que ça ne peut pas s’appliquer aux peines pour terrorisme. Donc ça ne s’appliquera pas au mapuche…
On a beaucoup parlé pendant ces 2 jours. De revendication territoriale (et non de récupération de terres), des demandes à venir auprès de la Cour Pénale Internationale pour génocide et accaparement de terres ancestrales… On a parlé des mapuches morts assassinés pendant le coup d’état mais non référencés (1500 nom déjà trouvés), on a évoqué ces communautés attaquées en permanence par des propriétaires terriens très protégés par la police, mais moi ce que j’ai préféré, et de loin, c’est une petite saloperie bien dégueulasse dont je ne comprends toujours pas comment notre noble République n’y a pas pensé plus tôt. L’utilisation, via une petite loi de derrière les fagots, de la protection intellectuelle comme arme de déculturation ! Imaginez : n’importe qui peut déposer auprès de l’INAPI (Institut National de la propriété Intellectuelle) un mot ou expression en mapudungun (la langue des mapuches). Si tu veux utiliser ce mot tu payes. L’idée de génie ! Pour parler ta langue tu payes. Comme si les bretons devaient payer à chaque utilisation publique des mots Fest Noz.  Quelle efficacité ça aurait pour que ces bouseux arrêtent de baragouiner ! Après la privatisation du vivant, la privatisation des langues.
Qui a dit que nous n’avions rien à apprendre du Sud ?
Pas de connexion correcte, je mettrai des photos que vous allez en chialer plus tard. 
Balade sur le mont Nieñol, montagne sacrée pour les mapuche

Un gros piaf bien sympa devant notre porte

 

Manif pour tous à Hornopirén !            

Rodrigo


De nombreux lecteurs, principalement ma sœur, me font part de leur désappointement. Il parait que je n’écris pas beaucoup. Diantre, fichtre foutre. Que d’attente et d’empressement ! Le fait est que l’on m’a confié beaucoup de travail et que je m’appplique, avec 3 p pour bien montrer que je ne déconne pas, à le faire correctement. Il se trouve que depuis notre arrivée, nous suivons de près le combat des ex prisonniers politiques. Le sujet est passionnant et mérite que l’on s’y attarde. J’y reviendrais d’ailleurs plus longuement bientôt, ainsi que sur notre visite à Caimanes, au nord de Santiago. Cette communauté devrait accueillir un sanctuaire à la Madone des causes perdues tellement ce qui s’y passe  peut laisser à tout le moins perplexe. Mais de cela également je rendrais compte ultérieurement.
Avant de rejoindre l’Araucanie la semaine prochaine, je voulais évoquer avec toi, lecteur fidèle et curieux, une rencontre. Celle que nous fîmes hier lors d’une assemblée de la Coordination d’ex prisonniers politiques de la région métropolitaine. Être au milieu de ces gens donne une énergie incroyable. Ecouter les histoires de ces hommes et femmes qui ont connu la torture, le viol, l’exil… Et les voir debout et toujours combattant a de quoi te rendre humble et/ou merdeux. Monica, par exemple, a connu à 14 ans ( !) Londres 38, un des pires lieux de torture et d’exécution de la capitale chilienne. S’en est suivi 2 ans de prison puis l’exil au Venezuela. Elle était militante socialiste à une époque où cela voulait encore dire quelque chose. Aujourd’hui, vu la ligne politique du parti, elle ne risquerait pas grand-chose ! Pardon, je digresse et comme on dit, dix c’est beaucoup. Je pense également à Paulo, torturé et violé pendant des mois, à tel point qu’à la fin il attendait ses bourreaux « la bouche ouverte pour plus se faire enculer »… Et nous avons entendu tellement d’autres histoires !
Donc nous étions bien installés à manger nos empanadas de pino, à prendre des photos et à écouter les discours des uns et des autres quand une dame est arrivée. Veronica DeNegri. Une légende. Et son histoire je vais te la conter pas plus tard que tout de suite si tu veux bien passer à la ligne. Ou plutôt non, je vais te  narrer le destin tragique de son fils Rodrigo. Mais c’est quand même à la ligne.
Veronica, militante du Parti Communiste a connu la geôle et la torture dès les premiers jours de la dictature. Après ces joyeusetés et pas mal de prison, elle a été exilée à Washington, où elle vit toujours. Elle y a retrouvé son fils Rodrigo, qui avait été envoyé au Canada en 1976, à l’âge de 10 ans. Comme il se doit Rodrigo a grandi. Ça arrive souvent, on n’est pas obligé de rester bloqué à 1 m 65. Bref. Rodrigo grandit, étudie la photo et se pose des questions. Lesquels précisément je ne sais pas, mais une revient avec insistance : que se passe-t-il au Chili, pays qui m’a vu naitre ? Et de décider, comme ça, en 1986, à l’âge de 20 ans si tu sais compter, d’y aller et de se rendre compte par lui-même. Il en réfère à sa mère qui ne voit aucun inconvénient, d’autant qu’en tant que militante, elle aurait beau jeu d’empêcher son fils de voyager et témoigner des atrocités de la junte pinochetiste. De plus, le fait d’avoir un passeport étasunien est, pense-t-on, une protection en béton armé (pour rappel, les yankees sont le plus grand soutien du Général que le Prix Nobel de la Paix Kissinger a mis au pouvoir).
Notre gourgandin arrive donc à Santiago pendant l’été 86. Il y sillonne la capitale, le pays, prenant des photos, allant à la rencontre des gens. Chemin faisant, il croise la route de la belle et ténébreuse Carmen Quintana, une étudiante en ingénierie qui a comme hobby d’aider les plus démunis. C’était ça ou macramé, elle a choisi ça. Qui suis-je pour le lui reprocher ? Bien. Comme Rodrigo est bel homme, de belle stature, bien mis et surement bien monté, la belle s’amourache du photographe. Ils ne se quitteront plus.
Le matin du 2 juillet, cela fait six semaines que Rodrigo est au Chili. Il décide de photographier les barricades qui fleurissent dans les rues santiaguinotes. Accompagné de sa douce il rejoint un groupe de résistants dans le quartier de La Estación Central. Là les témoignages divergent. La version officielle dit que des terroristes ont jeté un cocktail molotov et que les amoureux transis ont été cramés. L’autre version, corroborée par Carmen, est que des bidasses les ont plaqués contre un mur, qu’un d’entre eux a essayé de mettre le canon de son fusil dans le fondement de ce petit canon de Carmen. Rodrigo a commencé à protester. Dès lors les militaires ont commencé leur travail de… D’enculé. Voilà, c’est le mot. Enculé. Après les avoir roué de coups ils les ont aspergés d’essence puis ont jeté un briquet sur le couple. Brûlés vifs, mais encore vivants, ils ont été jetés dans un pick-up et envoyé à l‘extérieur de la ville en haut d’une petite montagne. Pour être bien certain de faire le travail correctement ces fonctionnaires zélés ont tenté de les achever à grands coup de pompe et de crosse. Les ont débarqués au milieu de nulle part et se son barré, heureux du devoir accompli, avec la ferme intention de besogner bobonne ou tout autre prisonnier politique, tant il est vrai que l’exercice donne faim. Las, Rodrigo et Carmen n’était pas morts. Ils se sont levés péniblement et ont commencé à descendre le Cierro. Ils ont fini par rencontrer un homme qui, horrifié par ce tas de chaires calcinées a appelé les condés qui les ont remis dans un pick-up direction le premier hôpital venu. Rodrigo n’a pas pu être soigné. Il est mort des suites de ses brûlures le 6 juillet, après 4 jours d’agonie. Carmen est restée défigurée.
Comme il se doit il y a eu un procès. Pas pendant la dictature, évidemment. En 1991 la justice soudarde a juste trouvé que l’officier Pedro Fernández Dittus avait chié dans la colle en n’envoyant pas ce citoyen étranger à l’hôpital. Pour ce qui est de Carmen par contre ne ra ket foutr comme on dit en Bretagne. Rien à branler, elle n’avait qu’à pas être là. Bon, c’est vrai, 2 ans plus tard la cour suprême en a décidé autrement et lui a collé 600 jours de prison pour avoir cramé les tronches de Rodrigo et Carmen. 600 jours pour lui faire les pieds. Non mais !
Depuis ce temps, Veronica lutte sans cesse pour faire reconnaitre son fils comme victime de la dictature. Déjà 8 actions en justice sans succès. Pire encore. Mme Bachelet, la présidente, a offert un poste d’ambassadrice au Canada à Carmen, après lui avoir payé une réparation faciale complète, l’exhibant comme martyre de Pinochet, montrant que elle, Nicole, sera toujours du côté des opprimés (à prendre comme les propos d’un autre président socialiste dont l’ennemi est la finance) mais refusant toujours de recevoir la maman de Rodrigo. Sa seule raison de revenir au Chili est là, à Veronica, se battre pour la mémoire de son fils. Jamais cette femme ne parle de son propre calvaire. Jamais.
Voilà cher lecteur la triste et terrible histoire qui m’a émue hier. Et quelle honneur ce fut de rencontrer cette dame. Et ben moi je dis que des fois, voir des gens aussi forts, dignes et combatifs, toujours debout malgré l’injustice et la douleur, ça file vraiment la pêche, mais putain, qu’est-ce que t’as envie de chialer !
Manifestation d’ex presos