Retour en Wallmapu 2 : les frères La Loose

Après un peu de repos à Santiago (où la température a avoisiné les 40°, bonjour le repos !) Pato et moi reprenons la route du Sud. Cette fois-ci nous allons à Temucomême. La capitale de la région. On dit bien Bresmême (t en option), on peut donc dire Temucomême. Bien, ceci étant vu, passons à la suite. On nous a parlé du cas d’un mapuche, Guido, à ce moment à l’hôpital de la ville. Nous avons le contact de sa belle sœur. Nous prenons rendez-vous avec celle-ci devant le bâtiment public. Elle nous attend avec deux frères de Guido. Nous sommes le 12 janvier et Guido est hospitalisé en soins intensifs depuis le 1er, sans que la famille puisse lui rendre visite. L’histoire officielle veut que Guido soit un sale terroriste qui aurait mis le feu à une camionnette, feu se propageant et allant jusqu’à détruire plusieurs véhicules. En tout cas c’est ce que le propriétaire, député et propriétaire terrien, raconte à qui veut l’entendre à la télé, à la radio et dans le Mercurio. Et de clamer haut et fort la légitime défense du pauvre latifundiste qui peine à boucler les fins de mois contre ces mapuches (dans sa bouche = terroristes) qui attaquent même les enfants. Déclarations publiques alors même que Guido est dans le coma, que sa famille ne sait pas officiellement ce qu’on lui reproche et que la justice lui demande, à la famille, de ne pas s’exprimer avant la fin de l’enquête !
Avec Pato, munis de nos passeports, nous entrons dans l’hôpital. Après plusieurs services, on nous donne enfin la bonne aile, le bon étage et la chambre. Arrivés près de celle-ci une infirmière (ou une doctoresse ?) nous saute dessus, furax, suivie par deux flics. On leur explique qui nous sommes et pourquoi on est là. À la vue des passeports étrangers le chef flic se détend. Pas la harpie qui n’en revient pas qu’on ait pu arriver ici sans trouver un garde ou porte close. Mais lui en déplaise à la kapo de service, on pourra voir Guido dans 15 minutes. Il est avec les défenseurs publics et le procureur pour se voir signifier son arrestation et les chefs d’inculpation. Quelques heures plus tôt, l’espèce de peau de pus de doctoresse s’est empressée d’appeler les flics dès que Guido a ouvert un œil. « Ça y est, il est conscient et peut comprendre ce qu’on lui reproche ». Nous attendons avec la famille.
Quelques minutes plus tard, sortent les défenseurs publics. Nous connaissons certains d’entre eux, vus l’année dernière lors du procès de Daniel Melinao. Une, en l’occurrence, nous invite à venir avec la famille au débriefing. J’écoute sagement et ce que j’apprends est édifiant : le 1er décembre donc Guido est tiré comme un lapin alors qu’il revient de son champ. Guido est paysan. Un simple paysan. Et loin d’être un activiste, comme nous le diront ses frères et sa femme. On a retrouvé 28 impacts de balle dans son corps. 28 ! Preuve qu’il a raté son suicide ! Une balle lui a fait perdre un œil et le deuxième n’est pas encore sauvé. La suite est à l’avenant. Il a été traîné sur plus d’un kilomètre, sur le lieu de l’incendie. La police l’a torturé, pardon, interrogé sans ménagement alors qu’il était à peine conscient. Puis, finalement, certainement par charité chrétienne, porté à l’hosto. Après analyse, on n’a trouvé aucune trace de poudre, d’essence, de brûlure sur lui. Rien. Mais son procès risque d’être des plus difficiles. En face il y a une vraie crasse, une valeur sûre de l’UDI (parti de droite issu des rangs pinochetistes). Qui donc a une parfaite maîtrise des médias. Pour le moment on n’en dit pas plus (mais on n’en pense pas moins) car l’enquête (à charge) suit son cours. Pour incendie volontaire d’un côté et légitime défense de l’autre… mais ça pu le montage comme pour un autre cas célèbre. Ce cas Celestino Cordoba.
Le lendemain, nous nous rendons à la prison de Temuco, accompagnés de deux camarades de la C.E.C.T (Comité Ethique Contre la Torture) de Temuco, Selgio et Carlos. Nous allons rendre visite au Machi Celstino Cordoba. Nous l’avions rencontré au même endroit un an auparavant, alors qu’il était en attente de son procès pour le meurtre de deux latifundistes. Depuis il a pris 18 ans. Il a été reconnu non coupable du meurtre mais, sans preuve, reconnu avoir été probablement présent lors des événements. Donc dans le doute, il y était, il y était pas… 18 ans. Une nouvelle version de la blague : frappe ta femme, si tu sais pas pourquoi, elle saura ! Et depuis il s’en est passé des trucs pour lui. Notamment une tentative de meurtre à laquelle il a échappé de peu. Avec un couteau bricolé, à 10 mètres de fonctionnaires qui n’ont malencontreusement rien vu et rien entendu. Il s’en est sorti avec une bonne estafilade au-dessus de l’œil et les compliments du patron de la prison : « je pense que tu seras tranquille maintenant ! » Celestino est en attente d’une révision de son procès. Malheureusement les choses traînent et il lui est difficile d’obtenir les attendus de son jugement qui lui permettraient de savoir exactement sur quoi se sont fondés les juges pour lui coller sans preuve cette peine. Plus dur encore est de trouver un bon avocat qui ne coûte pas la peau du zob. Bref, c’est la merde. Mais on n’arrive pas les mains vides. Nous avons sous le coude un ancien maire, député sous Allende et avocat. Camilo, que j’ai eu plaisir à rencontrer la veille,  est prêt à donner de son temps pour travailler à la révision du procès du peñi. C’est pas la classe ? Si ! Et franchement, c’est une des meilleures pistes que nous ayons pour aider le machi.
En sortant de ce moment privilégié avec Celestino, Pato et moi (les camarades de la C.E.C.T sont partis depuis une heure) sommes interpellés par un gardien. Il veut absolument parler avec nous. Il est syndicaliste et veut nous parler de ses conditions de travail. Et oui, si pour les détenus, la chose n’est pas des plus simples, pour les fonctionnaires travaillant ici, c’est pas mieux. Je vais pas plaindre un mec qui a fait le choix de travailler en milieu pénitentiaire. Mais il faut passer une heure ici pour se rendre compte que le bruit permanent, la promiscuité, l’enfermement à de quoi rendre taré n’importe qui. Et ici comme en France (mis à l’index chaque année pour ses conditions inhumaines de détention), impossible de faire valoir auprès du public la juste nécessité d’investir dans les prisons pour améliorer le quotidien. N’oublions pas que le simple fait que l’on peut avoir la télé en prison est la preuve « que ces dangereux repris de justice sont en fait en club med/spa 25 étoiles » et que « nous qui payons nos impôts on n’est pas aussi bien lotis ». Que le premier qui me dit ça en face crève dans l’heure !
Bref, une discussion des plus intéressantes, inattendue, à l’issue de laquelle nous promettons de tout faire pour en référer au ministre de la justice, un « ami » de Pato (ils se sont connus en prison). De fait nous avons l’intension de demander un rendez-vous avec ce monsieur, mais principalement pour intercéder auprès de lui en faveur de Celestino et prendre le temps de parler de Guido…
Après ces deux visites, très fortes en émotion : cuite. Bon dit comme ça c’est pas très vendeur mais c’est assez proche de la réalité. Nous rejoignons les compadres Arturo et Samuel. Petite soirée cool dans un bar bruyant, à siroter une (des ?) bonne bière locale. Le drame est arrivé vers 1 heure du matin quand Arturo a proposé d’aller chez son frangin. Cons comme on est, on a dit oui, alors que nous étions attendus dans un relais Emmaüs qui nous proposait généreusement une chambre. Sympa le frère, en version bien festive. Mode soirée entre couillus, avec un pote donc. Les gonzesses au cinoche avec les mioches (oui, c’est très machiste tout ça, pas la peine de me jeter des bacs de merde !) Et de se finir vers 5 heures (la dernière fois que j’ai vu la pendule) au pisco artisanal. Et là, je crois que j’ai un trou. En tout cas je me suis réveillé dans un lit, à l’heure où Pato et moi devions être à Pucon, à une heure et demie de route de là, pour retrouver deux compatriotes. Enfin quand je dis compatriote, en fait un breton, bien, propre sur lui, Antoine, et une… J’ose à peine le dire. Encore moins l’écrire. Une bourguignonne. Assimilée et tout, mais ça fait toujours un choc. Propre aussi, rien à dire (à côté de moi qui doit sentir le pisco à vingt mètres), Johanna. Avec eux, nous allons passer quelques jours plein de rencontres. À commencer par la visite en son domaine de l’immense Juana Calfunao… À suivre.



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