Enfin les choses sérieuses. Après un mois à visiter Aymaras, Quechuas, pêcheurs, étudiants, et autres laissés pour comptes, je vais enfin retourner vers le Sud, dans la région de Temuco. Le véritable objectif de ce voyage. On commence en douceur avec l’ami Saïd. Après une manifestation durement réprimée en l´honneur de Matias Catrileo, jeune mapuche assassiné par un flic qui n’a jamais eu à répondre de son crime, nous prenons un bus de nuit, direction Ercilla où nous avons rendez-vous avec Jaime Huenchullan de la communauté autonome de Temucuicui. Nous arrivons au petit matin. Sur le téléphone du camarade, connecté à Facebook, la terrible nouvelle. Charlie a été attaqué à l’arme lourde. Mort probable de Charb. On parle aussi de Cabu. Je ne suis pas abattu (sans mauvais jeu de mot) tout de suite tant l’annonce à un caractère absurde. Attaquer Charlie. Et Cabu ? Mort ? Ça fait bientôt 40 ans que je le connais et ce mec à pas prit une ride. Autant dire que comme Desproges il peut pas mourir, il est contre ! Tout au long de la journée nous chercherons à avoir plus de nouvelles. Mais dans le trou dans lequel nous sommes, difficile d’avoir plus d’infos. Qu’importe, on verra ça plus tard car pour le moment nos amis Mapuches nous attendent.
Nous arrivons chez Jaime où son père et deux frères oeuvrent déjà à la construction de la nouvelle maison de Jaime et Griselda. Beaucoup de choses ont changé depuis notre dernier passage, il y a un an. Château d’eau perso, eau courante (puisée directement dans la nappe par un système de pompe), douche (froide mais douche quand même), et un petit potager qu’a bien grandi, dis donc. Il y a même un petit 4×4 pour transporter le bois et autres encombrants. Un système ingénieux d’irrigation du maïs, des salades à foison, des légumes variés… Et l’ensemble de la communauté de profiter de la seule chose qui manque dans le coin, le nuisible qui empêchait de développer correctement la communauté : los pacos, les flics. En effet, depuis quelques mois, il n’y a plus de présence policière permanente dans les environs de la communauté. Ça n’empêche pas ces braves représentants de l’ordre de venir faire chier de temps en temps, avec un petit contrôle de papiers en pleine forêt par exemple. Et ça n’empêche pas Urban, un des deux gros propriétaires du coin de continuer à porter plainte pour un oui ou pour un non. Ce matin par exemple, Jaime est attendu au tribunal de Collipulli pour répondre de l’incendie d’une camionnette : il n’ira pas. Il a tellement de convocations que ça ressemble vraiment à du harcèlement. Sans compter qu’Urban a une dent contre toute la famille Huenchullan et que pour le Jorge c’est pareil. Le moindre prétexte et hop. Tribunal.
Nous passons une journée très agréable, filant un coup de paluche à la construction de la maison, aux travaux du jardin… Le père de Jaime me dira l’air plein de malice : « vous pourrez dire que vous avez construit une maison à Temucuicui ». Et même si on a participé dans la limite de nos moyens, le symbole est effectivement d’importance. Nous avons contribué à un acte politique non-violent très fort. La récupération d’une terre spoliée, par la construction d’un lieu de vie et par le travaille de la terre. Je ne m’en étais pas rendu compte de suite, mais lui mesure l’importance du geste. Putain j’suis un vrai rebelle. Un guedin ouf !
Le lendemain, Jaime veut nous présenter un jeune Mapuche, Miguel, 16 ans à peine, de la communauté We Kuyen. Cette communauté toute nouvelle constituée de quelques familles, est attaquée depuis quelques temps par la police. À l’arme lourde. Miguel nous montre des cartouches qu’il a trouvé aux abords de sa maison. Flippant. Sans compter l’arrestation d’une jeune femme de la communauté, qui vit seule, par quelque 50 pacos lourdement armés, hélicoptères, blindés et tout le toutime. Si Temucuicui est relativement pénard c’est que le gros des forces de l’ordre s’acharne sur cette petite communauté naissante. Pour ne pas qu’elle grandisse plus et pour réussir à l’expulser de ces terres accaparées, souvent sous Pinochet. Temucuicui est déjà trop importante et le combat trop âpre. Il s’agit donc d’empêcher qu’elle se reproduise en tuant systématiquement ses petits dans l’oeuf…
Nous ne restons malheureusement pas longtemps car Jaime apprend par téléphone que le tribunal de Collipulli a ordonné son placement en détention, pour non-présentation à son procès. Nous partons donc à Collipulli, là où il y a le plus de flics, qui de surcroît le connaissent tous, pour y faire réparer une tronçonneuse ! Avec Saïd, nous lui disons que nous pouvons y aller à sa place. Mais non. Il veut y aller avec nous. Bien. Nous laissons donc l’objet en panne une petite heure chez le réparateur, le temps de prendre notre billet de retour pour le soir même et de nous rafraîchir. On passe voir un ami de la famille, Cirilo, et une bonne heure plus tard on récupère la tronçonneuse. On monte tous dans la voiture, on ferme tout juste la porte qu’un mec frappe à la fenêtre. Jaime me demande de suite de sortir mon appareil photo et de prendre tout ce que je peux. Je ne comprends pas tout de suite ce qui se passe, mais quand 10, peut-être 15 secondes plus tard arrive l’est ce ta fête avec son cortège de képis, je comprends que le mec en civil est un flic et qu’il nous attend depuis notre arrivée en ville. Avec le fils de Jaime, 10 ans, nous photographions la scène. Qui se déroule sans violence mais avec une certaine tension. Quelques minutes plus tard, nous allons au commissariat avec Cirilo qui nous a rejoint. Jaime va passer la nuit au zonzon. Demain, après avoir pris connaissance d’une nouvelle date de procès, il sortira. Plus tard, une fois retournés à la communauté, je suis vraiment troublé par l’humour des frères. « Ben vous rentrez sans Jaime ? Il s’est encore perdu dans un commissariat ? » Sans compter Griselda, la femme de Jaime, limite blasée. Et le pire, c’est de voir ces enfants, tellement habitués à voir leurs parents, oncles, tantes, cousin(e)s, ami(e)s en prison. Comment on peut être si accoutumé à la pression policière et prendre avec tellement de calme l’incarcération de son père ? La suite du voyage nous montrera à nouveau une réalité bien pire…
Pour l’heure, nous rentrons à Santiago, de nuit. Un voyage horrible avec un bébé qui hurle toute la nuit. Juste dans nos oreilles, sans que les parents trouvent intelligent de le calmer/alimenter/torcher, je ne sais pas quoi mais sans que les parents trouvent utile de lui faire fermer sa gueule ! En arrivant au petit matin (ici) je m’étale devant une chaîne d’info. Les auteurs du massacre de Charlie sont encerclés. Je découvre avec horreur la liste des morts. Wolinski. Tignous. Oncle Bernard. Je suis abattu.
À suivre…
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Manifestation, justice pour Matias. |

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Une rue après le passage des canons à eau. |
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LA machine ! |
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La douche ! |

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Y’a pas du guerrier là ? |
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Des incendies partout. |

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Voilà le genre de cartouches que l’on trouve aux abords de communauté après une attaque policière. |
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La caserne… |
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La caserne… épargnée par les flammes. |
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Pacos en civil. |
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Arrestation du peñi. |