Ras-le-bol de ce pays. Je crois que je n’y suis plus le bienvenu. L’ai-je vraiment été ? Il y avait des indices pourtant, mais je n’ai pas su les voir. Et aujourd’hui… Diantre, j’enrage.
Le premier jour de mon arrivée, Pato m’invite à la Legua où il répète une de ses pièces de théâtre avec une troupe amateur. Un brûlot hippie sur une île qui représenterait tout ce que le monde n’est pas. Soit disant que les pays riches appauvrissent les pays du sud en leur volant leurs richesses, et que je te pollue, et que le plastique c’est pas fantastique, que Tío Samil est pas gentil, et que c’est pas gentil d’être méchant, que le nucléaire c’est caca, la guerre c’est mal et heureusement qu’il reste des bons sauvages qui savent bien, eux, que la Terre est vivante et que c’est grâce à leurs savoirs ancestraux qu’on va s’en sortir et gnagnagna et gnagnagna… Je ne fais pas vraiment attention à ce qui se passe et se dit tant un gosse insupportable (pléonasme, je sais) m’empêche de me concentrer. Il n’arrête pas de jouer sur son i-phoune, son à fond, ou alors il pousse des cris bizarres. Je passe l’heure à me demander s’il n’est pas complètement con ou taré ou les deux. Mais si j’avais été plus attentif, j’aurais bien sûr remarqué que cette pièce sent l’anti-France à plein nez.
La suite se passe plutôt bien. Je me sens presque chez moi. Politiquement nos deux sociétés se ressemblent, ils ont une droite qui vient directement de la junte, la notre se rapproche de Marine ; ils ont une haine féroce des envahisseurs boliviens et dominicains, nous on a des maghrébins et des roms qui mangent notre pain ; ils ont une gauche la plus conne du monde avec un PS empereur, ben nous pareil. Chiloé ressemble à la Bretagne, Viña del Mar à St-Tropez ; les santiaguinotes sont aussi bourrins dans le métro que les parisiens dans le leur… À noter tout de même une grande différence entre les comportements suburbains de ces deux villes : ce qui frappe ici c’est que même si les gens n’attendent pas que tout le monde descende pour rentrer en force dans la rame, on garde le sourire. Alors qu’un parigot préférera se coincer les balloches dans la fermeture éclaire de son futal plutôt que d’avoir l’air content, et ce, même si la rame est vide. Comme le disait la pub, « le parisien il vaut mieux l’avoir en journal ». Et moi je rajoute, « oui mais à la rubrique nécrologique ».
Vendredi, une première alerte. Je n’y prends garde, les esprits sont échauffés par… rien de spécial. Soirée sans alcool, repas tranquille. Chez Celsio, au sud de Santiago. Je me prends une première réflexion de sa sœur. J’aurais du être plus vigilant ; c’est que c’est fourbe ces trucs-la. Mais je laisse couler. Elle ne sait pas ce qu’elle dit. Et puis dimanche, la triste vérité.
Visite du Cementerio General de Santiago, un truc énorme qui ferait passer le Père-Lachaise pour le jardin potager de mon nouveau pote Pavel, anarco-vegan qui cultive ses légumes avec 2-3 pieds d’herbe parce que « faut pas déconner, vus les prix du marché ! ». On se rend devant le mausolée d’Allende, puis sur la tombe de Victor Jara et devant la stèle de Miguel Enríquez avant de finir par le mur des disparus et assassinés de la dictature. Moment encore difficile pour Pato. Le camarade Celsio refuse de nous accompagner. Lui ne peut toujours pas. Après la balade, nous nous retrouvons chez un des oncles de Carolina. Jaime. Il y a du monde, nous devisons de tout et de rien mais surtout de bouffe (sujet de prédilection ici) et tout à coup : paf ! Le paré à virer dans ma ganache. « Vous êtes des barbares machistes ! ». Presque mot pour mot les propos de la frangine de Celsio ! À deux jours d’intervalle ! Une cousine de Carolina me sort ça en lisant ma carte de visite. Nous, la France, ce phare de l’humanité dans les ténèbres de l’ignorance. Un pays de barbares machistes ! Tout ça parce que je ne porte que le nom de mon géniteur alors qu’ici on a celui du père ET de la mère. J’ai beau arguer que, oui, c’est vrai, qu’en France on se passe bien volontiers du superflu, que de toutes façons, ça les regarde pas et que depuis quelques années, le laxisme post soixante-huitard aidant, une famille peut s’abaisser à donner le nom du père et/ou de la mère, rien n’y fait.
– Et au collège ? Comment on se présente ?
– Ben comme sur mon état civil ou sur ma carte d’identité. Je suis le fils de mon père. LE chef de famille. D’ailleurs on ne dit jamais LA chef de famille. C’est bien que ça n’existe pas.
– Pauvres femmes ! Et une femme qui se marie, elle perd son nom ?
– Normalement oui. Elle peut s’enorgueillir de ne faire plus qu’un avec son maître son époux. Mais à cause de soixante-huit tout ça… Maintenant elle peut garder son nom.
– Pauvres femmes !
Ça, elle l’avait déjà dit. Donc, devant la pauvreté de son argumentation, j’ai mis fin aussi rapidement que possible à cette discussion. Ah, le choc des cultures. Ils ne sont pas encore prêts à recevoir la lumière. ¡ Que pena ! Mais entre ce cagage de pendule pour une histoire de nom et cette pièce de hippies, décidément, je crois que je ne suis plus le bienvenu…
Pour les morts aussi c’est noël. |
Pétain était un boche? Tout s’explique ! |
Fin de la trêve hivernale et début des expulsions… |
Un petit parasol, les morts aussi ont droit à un peu d’ombre. |
La tombe de Victor Jara. Très visitées. |
Monument aux disparus de Paine. |