Nous partons au petit matin, les camarades Celso, Pato et moi-même, pour l’aéroport de Santiago. A la clef une petite virée dans le nord du pays. Iquique exactement. Les deux lascars ont pour projet la construction d’un monument en hommage aux presque 3.000 ouvriers (recensés à la louche) assassinés le 21 décembre 1907 pour avoir osé demander de meilleures conditions de travail. Le massacre de l’école Santa Maria de Iquique. Comme j’ai du temps libre et une passion pour les idées à la con, je me joins à eux sur ce projet.
Après une heure d’avion, premier arrêt à Antofagasta, grande ville minière du nord. On a 10 heures à tuer entre deux vols alors on visite. Passage obligé par le monument aux victimes de la dictature. Loin de tout, on marche presque une heure tellement il est loin du centre. On passe par le port de pêche histoire de manger quelques marescos. L’endroit est squatté par un groupe de loups de mer, dont le doyen s’appelle Pancho. Je me dis que la révolution n’est pas très loin si Pancho vit là. Ici tout, absolument tout fait penser à la mine. Les publicités, les peintures murales, les statues, les graphs’. Même dans l’avion, le magazine de la compagnie aérienne publie des réclames d’universités qui forment aux métiers de la mine, de boutiquent où l’on peut acheter un casque de chantier, un marteau-piqueur… C’est vrai, il y a aussi une pleine page sur le prochain concert des Melvins en Argentine et un bel article sur la tournée de Primus (impensable dans la presse française), mais quasiment toutes les pubs ont à voir avec l’industrie minière.
Arrivés finalement à Iquique en début de soirée. On se rend à l’Hostal del Español, qui appartient à Manolo, président d’un syndicat de pêcheurs artisanaux. Aujourd’hui il ne pêche plus. Sa principale embarcation – un petit 17 mètres – a été démolie lors des séismes des 1ers et 2 avril 2014. Respectivement 8,2° et 7,8° sur l’échelle de Richter. Terremotos suivis chacun d’un tsunami. Manolo a bien un autre bateau, mais seulement 7 mètres. Insuffisant pour retourner pêcher en pleine mer. Et en plus il n’a pas de quoi payer le renouvellement de son permis de pêche. Comme beaucoup de ses collègues. Et ce au seul profit des grosses flottes. Souvent étrangères.
Autre victime du séisme, la zone de Las Dunas. Les habitations d’Iquique n’ont quasiment pas subies de dégâts. Sauf ici, dans ce quartier pauvre dans les hauteurs de la ville. Ici presque la totalité des bâtiments a été évacuée par les autorités. Tous menacent de s’effondrer. Mais comme il n’y a pas de vraies solutions de relogement, beaucoup de familles restent sur place. Attendant la prochaine secousse. Et on est certain que la prochaine aura lieu ici. La terre tremble tous les jours un peu. Certains habitants disent l’entendre la nuit. Comme un ronflement. Et de fait, en regardant la carte sismique, on peut voir une activité quotidienne dans ce secteur. L’inaction des pouvoirs publics fait peur à voir. Et le peu de soutien que l’on peut apporter est plus que bienvenu.
Les « festivités » autour de la commémoration de la matanza de Iquique commencent le samedi soir par la projection d’un court-métrage (pas beau mais instructif) sur cette journée du 21 décembre. Puis petit cocktail accompagné de musiciens de la pampa. Le lendemain midi, rassemblement à l’endroit qui fut jadis l’école Santa Maria. Meeting instructif du principal syndicat de travailleurs, le CUT, en plein cagnard – d’une manière générale, je ne sais pas pourquoi, mais les chiliens aiment à manifester en plein cagnard ; en fin d’après-midi il fait doux et il y a de l’air mais non, on préfère bien en chier, une manière d’expier ? De se dire qu’on a été vilaine ? Il y a sur place un groupe folklorique (des vieux qu’on a sorti de l’hospice) et un chanteur qui reprend du Jara. Très cool moment sauf cette mise en bouche totalement incroyable pour moi où le patron du syndicat fait chanter l’hymne national avant de commencer. Surréaliste ! Surtout pour moi qui chie avec le même enthousiasme sur voue la même passion à la marseillaise, au drapeau tricolore et au Gwen ha Du. A vous lire !
Et le soir venu, le bonheur en barre. Après un groupe de rap (La Mano) et un autre de musiques chiliennes (Alfa America), après quelques très bons discours, après une poétesse rendant hommage au 43 du Mexique, un pur moment d’extase. Les Quilapayún en chair et en os pour interpréter « La Cantatade Santa Maria de Iquique » d’Aldis, dans son intégralité, accompagnés d’une troupe de danse (les Kirki Huayra)… Magnifique ! J’en ai encore la chair de poule et le kiki tout dur en y repensant. Voir ce groupe, ici, c’est comme voir Nougaro à Toulouse, assister à un match de foot au Maracana de Rio. C’est comme assister à un concert de Primordial à Dublin, boire un coup avec Renaud à la Closerie des Lilas ou supporter l’équipe de France de tennis à Genève. On est chez eux. Au milieu de leur public. La foule est à bloc, et la bonne heure de rappels n’est pas suffisante pour calmer tout ce petit monde. Un vrai moment magique.
Au final, nous avons pris de nombreux contacts (à la mairie, un député, des syndicats, des citoyens…) et le projet semble prendre. Reste à budgéter la chose, fouiller dans les archives pour trouver les noms des martyrs (chose difficile car beaucoup de ces ouvriers étaient péruviens, boliviens, argentins, autres – un des personnages les plus célèbres et peut-être la première victime était appelé Le Russe). Ce massacre étant un événement important dans l’histoire des mouvements ouvriers, et pas seulement chiliens, vous risquez de recevoir un petit appel à soutien. A vot’ bon cœur m’sieurs dames…
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Antofagasta |

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Statue en cuivre |
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Convoi de cuivre |
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Pancho, notre révolutionnaire mexicain ! |
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Mémorial au disparus et assassinés de la dictature |
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Iquique |

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Las Dunas |
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Goûter entre « voisins » |

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Une colonie de loups de mer. Faut juste pas les faire chier ! |
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Mémorial du massacre de l’école Santa Maria |
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Le Dakar commence dans quelques jours. Cette « course sportive » d’un autre temps est Grand Cause Nationale au Chili, en Argentine et en Bolivie. |
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La Mano |
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Alfa America |
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Quilapayún |