Dure mer

[…]

On va à Viña, on va à Viña
Se faire griller nos petites guiboles
On va à Viña, on va à Viña
Se faire masser nos vieilles peaux molles
[…]
Viña ville de vieux, ou des cadavres blêmes
Gisent dans les rues farcis de chrysanthèmes
Viña ville de bourges, ou des enfants obèses
Se gavent de glucose dans de trop longues chaises
[…]
On va à Viña, on va à Viña
Se faire griller nos petites guiboles
On va à Viña, on va à Viña
Se faire masser nos veilles peaux molles
On va à Viña, on va à Viña
Dans la mer on va patauger
On va à Viña, on va à Viña
Et sur le sable on ira s’échouer
Les plus cultivés d’entre vous auront bien entendu découvert le délicat subterfuge qui m’a fait ré écrire ce tube international en remplaçant le mot Cannes par Viña (sous-entendu del Mar) dans cette chanson de 1990 qui berça naguère les rêves de l’enfant innocent et plein d’une douce candeur que j’étais et qui de questionnement en questionnement commençait à saisir avec une certaine appréhension les affres de ce monde brutal mais plein de paillettes qu’est la Croisette. Les VRP ne m’en voudront pas de ce brillant détournement tant il est vrai que Viña del Mar c’est la promenade des Anglais version Chili. Viña, c’est la difficulté de trouver une bière bon marché, ce sont les peaux rougies par trop de soleil. Comme Cannes ou Nice, ce sont les visages délicatement charcutés à la scie sauteuse de ces vieilles bourgeoises pour qui le mot labeur désigne une jeune fille d’origine maghrébine ; les corps délicieusement galbés de ces hommes virils mais corrects, qui se servent de la bibliothèque familiale pour faire du culturisme. Le Viñamarino connaît les mêmes difficultés que l’Azuréen à trouver une table libre au moment de la sortie des plages. La même peine lorsque par malchance il ne reste plus de crabe au menu. Et on se sent égoïstement heureux de laisser ces pauvres hères emperlousés à leur sort de va-nu-pieds mondain.
Viña, en trois syllabes : c’est à chier.
C’est donc avec soulagement que l’on retourne à Valparaiso où nous avons la chance de manger un excellent poisson frit, pêché fraîchement par un des derniers Mohicans de la pêche artisanale chilienne. Car ici l’esprit créatif du libéralisme n’a pas de limites. Et l’on observe avec admiration les premiers effets d’une loi sur la pêche passée en force sous la droite mais votée par la gauche qui – c’est étonnant – une fois au pouvoir se désole de l’iniquité de la mesure ! Par cette loi, achetée à coup de millions de pots de vin à l’ensemble de la classe politique, sept grands industriels ont pu s’attribuer la totalité du domaine maritime chilien. Tout simplement. Imaginez si la France qui est en passe d’obtenir des territoires suffisamment grand pour en faire le premier domaine maritime du monde en faisait autant ? Si Macron et Vals allaient au fonds des choses ? S’ils en avaient un peu dans le bennard ?
L’horreur !
Un peu partout sur le littoral les pancartes fleurissent pour expliquer aux chiliens, qui n’en ont rien à carrer, ce que sont les effets de cette loi. En fait ils doivent, au choix, travailler pour les flottes Intermarché locales, qui leur rachète le poisson au prix fixé par l’entreprise (et ça vole pas bien haut) soit acheter un droit de pêche à la dite entreprise. Droit de pêche très élevé bien entendu et qui empêche une bonne partie des artisans pêcheur de prendre la mer. Et là où l’on frôle le génie c’est que sur ces petites bandes réservées aux pêchoux, la capture de certains poissons est interdite sous prétexte de raréfaction de la ressource halieutique, mais que cette restriction ne s’applique pas à ces grands groupes qui peuvent de fait s’accaparer les richesses en voie de disparition de la côte chilienne. Brillant. Je reprend deux fois du congre.
Après cette leçon de réalisme économique et un débat fort instructif sur l’avantage de casser les jambes de quelqu’un qui use du mot « Province » juste pour se défouler ; après un passage long mais fabuleux par la Isla Negra, la maison de Pablo Neruda ; après avoir contourné des monceaux d’épaves humaine dormant dans – au mieux – leur vomi, suite à un 31 décembre célébré en grande pompe (à bière) ; nous quittons enfin les rives du Pacifique. Retour à la capitale pour enfin se reposer de ces agapes.
PS : j’aime à rendre à François ce qui lui appartient. Que le jeux de mot honteux du titre cet article lui rende hommage.

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