Levi-Strauss sur les traces des Guéant..

« Le drame de l’Afrique c’est que l’homme Africain n’est pas assez rentré dans l’histoire ».
Nicolas Sarkozy (Henri Guaino), 26 juillet 2007, Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (Sénégal)

En fait le drame de l’histoire c’est qu’on ait pu laisser dire de telles conneries au représentant d’une nation. Du coup on passe tous pour des cons. Mais il y a un précédent dramatique à cette funeste sortie raciste. Et par quelqu’un de bien plus illustre que ne le seront jamais les Bob et Bobettes de la politique, les Guéant/Sarkozy. Et aujourd’hui la palme du racisme de bon aloi revient à… Roulement de tambours…. Claude Levi-Strauss pour sa brillante contribution : les peuples des régions australes n’ont pas d’histoire car pas de culture écrite. C’est brillant, merci pour lui. Mais c’est un peu oublier que ces peuples ont une fabuleuse histoire orale. Un peu comme Monica Lewinsky mais en plus épique.

Or donc de peuple australe, nous nous intéressons aujourd’hui à celui qui se nomme lui-même Kawésqars. Et celui-ci dispose depuis 1996 (seulement !) d’un alphabet et d’un dictionnaire. Il peut donc à loisir l’écrire, son histoire.
Notre bon docteur Jose nous a parlé de Carolina et son combat pour la reconnaissance et la sauvegarde de sa culture et de sa langue. Ne pouvant voyager jusqu’à Puerto Edén (trop long et trop cher – nous sommes ici en pleine période estivale), nous nous cotisons pour l’aider à venir à Santiago. Nous la verrons deux fois longuement et elle profitera de son séjours, outre une matinée de shopping (putain les gonzesses !), pour rencontrer d’autres associations et institutions publiques. Carolina n’est pas Kawésqar. Elle est Mapuche. Mariée à un Kawésqar. Mais elle connait très bien cette culture. Elle arrive directement de Puerto Edén. 24 heures de voyage minimum. 8 heures de bateau jusqu’à Puerto Natales, leur « centre communal », 8 heures de plus en bus jusqu’à Punta Arenas, plus au sud, la capitale régionale pour prendre un avion et 3 ou 4 heures d’avion jusqu’à Santiago. En 2 mots, le bordel pour venir. Et comme il n’y a de bateau que tout les 5 jours, faut pas louper la fenêtre de tir!
Cette région au cœur du Parque National Bernardo O’Higgins est un paradis pour gothiques, voire pour emos, si personne n’a trouvé le moyen de les exterminer. Mer du Désespoir, Canal de la faim, Golf de la mer déchaînée… Tout est à l’avenant. La pluviométrie fait passer Brest pour la capitale du désert de la soif… Ah ça non ça l’est déjà… Bref une région dont on se demande vraiment pourquoi il y a eu des blaireaux pour la coloniser.
Les Kawésqars vivent traditionnellement de la chasse et de la pêche. Ils trouvent le bois de construction de leurs maisons et bateaux dans les grandes forêts de la région. Bizarrement on doit à Pinochet ce grand parc national. J’arrête pas de dire qu’on le condamne un peu vite ! Les Kawésqars bénéficient donc d’un territoire de plus de 5 millions d’hectares. Et comme il ne sont plus que 70 pour en profiter tu te dis cher lecteur (oui je te tutoie, ne t’en formalises pas ça ne changera rien) tu te dis donc :
« mais alors que viennent-ils chouiner dans nos chaumières et manger le pain de nos compagnes ? »
Ce à quoi je répondrai :
« je ne vois pas le rapport avec le pain et les compagnes. Mais que pour ce qui est de chouiner, que nenni. Ici point de chouinage »
Car non, ce peuple ne chiale pas sur son sort mais tente avec l’énergie du désespoir de préserver ce qu’il lui reste de culture et de langue. Pour ce qui est du territoire d’abord, sache cher lecteur que les Kawésqars n’ont pas le droit de prélever d’arbres sur leur territoire. Pas plus qu’ils n’ont le droit de chasser. Puisque parc national. Ils peuvent chasser le loup de mer une seule fois dans l’année. Les forêts en bordure du parc ont été privatisées et le bois et le droit de chasse également. Comme au Moyen-Age en Europe? Oui. Comme le Moyen-Age en Europe ! Tout ce qui était gratuit avant leur coûte une blinde maintenant. Magie du libéralisme ils n’ont même plus le droit d’enterrer leurs morts sur la terre de leurs ancêtres. Qui leur appartient. Ils doivent aller à Puerto Natales (donc minimum 8 heures de bateau) pour les derniers sacrements. Pour ce qui est de la pêche, ils l’ont bien profond également suite à la privatisation des zones de pêche qui tue lentement la pêche artisanale. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, les élevages de saumon sont en train de détruire l’écosystème du parc. Car ces fils de p… qui ont l’oreille attentive de la présidence ont réussi à faire en sorte d’exclure les zones maritimes du parc. Ne sont protégées que les terres. Et donc l’industrie du poisson rose peut polluer à loisir pour le plus grand plaisir du consommateur souvent étranger. Sur l’eau non plus les Kawésqars n’ont (plus) rien à dire.
Pire. Un des plus grands projets hydroélectriques au monde est en train de voir le jour en bordure de leur territoire. HydroAysén va à terme privatiser de fait et détourner une des plus importantes réserves d’eau potable du monde (la deuxième je crois). Ce projet complètement délirant à pour but de produire de l’électricité pour Santiago (à des milliers de kilomètres de là) et pour l’industrie minière. Une fois de plus. Une pure aberration écologique et énergétique. Officiellement Aysén n’est pas en territoire Kawésqar. Mais l’eau puisée et interceptée si. Autant les Mapuches revendiquent le droit à la terre autant les Kawésqars se battent pour le droit à l’eau. Et le problème c’est que plus le combat des premiers est mis sous les projecteurs, plus celui des seconds ne fait que s’enfoncer dans l’obscurité.
Je viens de visionner un documentaire de 2006 sur les Kawésqars (que je tiens à disposition pour qui veut à mon retour). Il restait 12 personnes parlant la langue. En 2010 ils n’étaient plus que 5. Aujourd’hui 4 personnes seulement parlent et comprennent le kawésqar. Malgré le classement du peuple Kawésqar Patrimoine Vivant de l’Humanité en Danger à l’UNESCO, le Chili ne semble pas réellement se préoccuper de son sort. À cette heure, la communauté se compose de 70 personnes dont 11 enfants réparties sur 8 familles. Ces enfants sont censés apprendre la langue à l’école. Mais dès qu’ils seront dans une grande ville pour continuer leurs études, la parleront-ils encore ? J’ai beau admirer l’énergie de Carolina et de sa fille dans leur lutte contre la disparition et l’oublie de leur mode de vie, de tout ce qui fait d’elles des Kawésqars, je ne peux que me dire que j’assiste impuissant à la mort pure et simple d’un peuple et ce dans l’indifférence générale…
Rien à ajouter.
Une image de repas entre amis, histoire de finir sur une note positive!

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