Même la lavande peut sentir la merde…

Arrivés ce matin à Santiago, vers 6h. Nous avons quitté Temuco hier soir alors que Matthei y commençait son meeting de fin de campagne. Affiches géantes partout avec ce slogan de deuxième tour, Si se puede, le Yes we can du pauvre. ‘fin quand je dis du pauvre, c’est quand même un parti de milliardaires. Qui fait rêver des pauvres. Et cette nana risque d’être en tête à Temuco et dans une grande parti de la 8ème région… Je dis 8ème parce que grâce à la dictature, aucune région n’a de nom. Juste un numéro. Comme ça c’est plus simple. Ils sont d’un pragmatisme ces bidasses ! Nous par exemple, on a la Bretagne, la Picardie, la Vendée… Ah non. Eux ils n’ont pas encore de région. Ils sont mélangés à des vrais gens. Dommage, l’humanité toute entière gagnerait à les isoler. Mais une fois de plus, je m’égare. Ici au Chili, t’as juste à savoir où sont le sud et le nord et tu comptes. Même un simple troufion s’y retrouve. C’est bien fait non ? J’aime cette rigueur toute martiale. Alors. Où en étais-je ? Donc quitté Temuco… Yes we can… 8.. Oui ça y est. Donc. Le gars Mélanch’ a dit d’une pseudo révolution à tête rouge gagnée par les patrons et les pollueurs de tout poils « les esclaves manifestent aux côté de leurs maîtres ». Bon, il dit ce qu’il veut le bonhomme. Tout le monde sait que l’esclavage est aboli en France. Tout juste peut-on parler de servage. Et encore. Volontaire. Non, ce qui m’importe c’est qu’ici, à Temuco, cette sentence a quelque chose de très profond. Imaginez. Un parti qui est directement issu de la junte, qui a tellement de sang sur les mains qu’il faudrait les plonger dans un bain d’acide pour les blanchir. Qui opprime encore les mapuches, dont le président sortant issu de ses rangs vient d’annoncer qu’il n’était pas question de changer la manière de traiter ces mêmes mapuches… Imaginez que ce parti est largement majoritaire dans cette région ! Navrant !
Bon je reprends le cours de mon récit où il était resté.
Peñi (Hermano, frère) Mario, taxi de son état, vient nous chercher dans l’hostaleria où il nous a laissé la veille. Une grande maison un peu terne avec une décoration douteuse. Direction le grand marché couvert pour un petit déjeuner plus que bienvenus. Nous n’avons pas mangé depuis la veille au matin. Sopaipilla con queso et café lyophilisé (difficile de trouver un vrai café dans le coin). Un vieux monsieur se joint à notre tablée. Et balance une grosse vacherie sur les condés qui passent. Ici on les appelle pas poulet mais Choroy. Perroquet. A cause de leur uniforme vert. Ça a l’air drôle mais je comprend rien… Et c’est reparti. Une bonne heure de route pour rejoindre Ercilla au nord de Temuco. Nous y rencontrons Jorge Huenchullan, werken (porte parole) de la communauté autonome de Temucuicui. Il nous conduit à sa communauté, 10/15 minutes de piste dans une nature magnifique. Seul hic, eucalyptus et pins partout au lieu d’essences endémiques. Arrivés à destination. Un groupe d’homme travaille à clôturer un très grand champ. Nous sommes en pleine action de réappropriation de terres. Sous l’œil scrutateur de condés loin de nous. Le moindre fait et geste de la communauté est su, épié. Les Mapuches ici récupèrent des terres vendues sous Pinochet à un suisse qui a décidé de se lancer dans la sylviculture. Il faut savoir qu’en France, la plupart de nos quotidiens sont imprimés sur du papier issu de plantations chiliennes. Avec une croissance rapide, le pin et l’eucalyptus sont une manne financière incroyable. Ils assèchent les nappes phréatiques mais bon. C’est pas comme si c’était grave. Or, donc, nos amis sont en train de récupérer ces territoires pour principalement les cultiver. Dans ce territorio en recuperación je fais la connaissance de Jaime, autre werken et frère du premier ainsi que de Victor Queipull, lonko (chef de communauté). Celui-ci connait bien les flics qui nous surveillent. Arrêté plusieurs fois, torturé, la police spéciale lui a même volé un cheval, sous ses yeux, il continue la lutte pour les droits de son peuple. Étonnant ce mélange de volonté, de certitude de lutter pour son bon droit et de calme. Il n’y a pas de haine dans ses propos. Nulle trace de violence. Alors que moi je suis en train de bouillir. Et pas seulement du fait du soleil qui tape dur. Non. Je bout aussi à entendre le récit de Jaime, dont la police militaire a massacré – pas d’autres mots – ses brebis. Lui qui est allé au Canada apprendre à faire du fromage a perdu une partie de son cheptel sous les roues de camions blindés! Rien que ça.
Après 2 heures de discussion, nous reprenons le chemin de Temuco. Dans tout bon film d’espionnage, il y a un rendez-vous dans un endroit improbable. Ben nous c’est dans une peruqueria. Un salon de coiffure! Tu parles d’aventuriers. Mais bon on est bien accueillis et les coiffeuses sont sympa. Sergio et Pablo de la CECT finissent par arriver, on s’en va causer ailleurs, dans un bar, et nous sommes bientôt rejoint par Carlo et son air de peintre fou. Bon moment de discussion, des choses à voir avec eux, prendre la température de ce qui se passe dans la région… Cuisine interne, je suis pas concerné par un grande partie de la discussion. Ou je la comprends pas, au choix. Pablo nous propose de nous accueillir chez lui. On s’installe et j’en profite pour prendre une douche. Froide la douche. Le raccordement au gaz n’est pas fait. Vous connaissez l’expression « les avoir comme des raisins de Corinthe »? Ben avec une eau qui doit arriver tout juste d’Antarctique c’est un peu ce qui c’est passé. 
Tout propre que je suis, nous partons pour le Gymnasio Olimpico où nous retrouvons nos camarades Mapuches de Temucuicui, rejoints par d’autres amis. L’ambiance est incroyable. Des banderoles partout, des gens en costume traditionnel, des hommes, des femmes, des enfants… La fête commence déjà a l’extérieur. Je rencontre un jeune mapuche qui est fan de la Bretagne. Il connait par cœur la Côte de Granit Rose, Lannion, Perros-Guirec… sans y être jamais allé. Juste dans les livres. Après une bonne heure de parlotte nous finissons par rentrer dans le Gymnase.
J’ai un pote – son père était pêcheur – il mangeait les meilleurs poissons du monde presque tout les jours. Et a force, ben il était un peu blasé. Alors que je me serais damné pour le dixième de la poiscaille qu’il avait à table, ben lui il rêvait de steak. Un vrai repas de fête était un repas avec de la viande. Blasé je vous dis. Ben moi, je suis toujours pas blasé de voir un concert de Manu Chao et la Ventura. Je ne l’ai pas autant vu que mon pote mangeait du poisson, mais je l’ai croisé pas mal ces temps-ci. Et ce concert à Temuco était incroyable. Une vraie belle communion; une grande fierté d’être là avec mes camarades. Surtout quand Rodrigo, frère de Jaime et Jorge est monté sur scène pour un discours très combatif, simple et efficace. Dédicace spéciale de Manu à ma personne, je suis finalement assez touché… Grand bordel bon enfant dans les loges lors de l’after. Une vingtaine de mapuches, à chanter et à déconner… Vraiment un beau moment.
En rentrant du concert de Manu, Pato me propose un dernier verre. Et en arrivant au premier troquet venu nous tombons sur deux drilles amis de mon camarade. Arturo et Samuel. Arturo est werken également. Ainsi qu’avocat spécialisé dans les conflits du travail. Il nous invite chez lui et là c’est le drame. Après deux bouteilles de pisco (40°) à quatre, des bières, après avoir refait le monde une bonne dizaine de fois, je me couche enfin vers 10h30. Du matin! Pour être réveillé 30 minutes plus tard pour manger un plateau de fruits de mer – de grosses amandes et une variété locale de moule – arrosé de bière premier prix. On refait le monde. Mode festif quand tu nous tiens!
En fin d’après-midi nous faisons aller-retour à Temucuicui pour rencontrer à nouveau Jaime. Petite discussion que nous reprenons le lendemain au même endroit avec en plus Luis Melinao, autre werken mais de la communauté Wente Winkul Mapu. Les communautés sont en train de préparer une action importante. Nous y participerons également. J’en parlerai plus tard. Brève rencontre avec Nelson Miranda, avocat dévoué à la cause Mapuche. Incroyable ce mec. Il donne tout ce qu’il a à la lutte. Son bureau est plus petit que ma chambre. Nous allons ensuite à Collipulli à 10mn de Ercilla. Un jeune mapuche passe en audience préliminaire pour meurtre. C’est en arrivant dans ce bled que tu rends compte de la militarisation de la région. Dehors camions blindés, dedans, entourant l’accusé, 3 enculés de la police spéciale, ceux avec la cagoule… Derrière la vitre blindée le public attend. Une quinzaine de mapuchse  – dont Victor Ankalaf, lonko et ami de Pato – venus soutenir le jeune homme. Son avocat obtient du juge des analyses complémentaires mais par un labo indépendant. Pas par les flics qui ont l’habitude de falsifier les preuves. Après le verdict le public présent scande l’incontournable « marichiweu! » : Dix fois nous vaincrons! Deux autres mineurs passent plus tard pour motif d’incendie volontaire. Mais ils sont prévus trop tard. Nous devons rentrer sur Santiago.
Retour à Temuco avant de reprendre le bus, repas rapide au marché couvert du centre – retau de poisson et fruits de mer, La Caleta, si vous passez par là! Après un congre avec un peu de merken – préparation pimentée du coin – un dernier rendez-vous avec Sergio dans le repaire improbable qu’est le salon de coiffure, pour parler de notre visite à un prisonnier politique à Temuco la semaine prochaine, el peñi Daniel. Nous récupérons nos affaires, prenons un taxibus (aussi taré que mon chauffeur nocturne de Santiago…).  Gare routière, bus de nuit direction la capitale… Nous passons devant un très beau champ de lavande. Patricio m’explique qu’à Cañete il y a de grosses plantations de tulipes. Exclusivement pour la Hollande qui fait croire que tout pousse chez elle. Mais ici à Temuco c’est la lavande. Parce que ça le vaut bien Loréal y a investit massivement pour son industrie cosmétique. Sur des terres usurpées. Au Chili, grâce au vol des terres des natifs, même la lavande peut sentir la merde…

Il y a une quinzaine d’échoppes comme celle-ci. On y mange bien pour pas cher.
Angol,un des marchés couverts.

Comme Desproges l’a déjà dit : le Chili n’a ni ouest ni est. Seulement un nord et un sud. Même les pancartes le disent!

Ercilla, nord de Temuco.

Mais qu’est-ce donc?

Cabane de pacos, ils surveillent de loin les mapuches.

Plusieurs cabanes de ce type sont construites pour bien montrer la détermination des mapuches à occuper le terrain.

Victor Queipull, lonko.

Jorge Huenchullan, werken.

Mario, notre chauffeur pour la journée.

Gymnasium d’Angol, le même jour…
Jaime, avec la casquette

… y el peñi Arturo.
El peñi Samuel…
Le pigeon local!

Passerelle pour piétons, au milieu de… rien avec arrêt de bus intégré. Sur l’autoroute.

Petit stand de bouffe sur le bas côté. Y’en a tout les 100 mètres!

Un bicentenaire version chilienne.
Eveline est même sur les toits!

Tribunal de Collipulli.

Ici aussi Eiffel est passé faire un pont.

Cabane de bouffe d’un pote de Pato. 3 fois on passe, 3 fois c’est fermé. On ré essai la semaine prochaine…

Un des rares monuments de Temuco. Une pauvre statut dégueulasse…
Taxi bus de Temuco, mode fou du volant.

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