Et c’est reparti pour un tour dans le sud. Direction Temuco. Cette fois-ci nous sommes accompagnés de Leo, charmant bonhomme, vidéaste/documentariste indépendant qui a en plus l’avantage d’avoir une voiture suffisamment grande pour 5 plus bagages. Le truc c’est que le Pick-up du compadre a quelques problèmes. D’abord les fenêtres arrières ne s’ouvrent pas et il n’y a pas de ventilation (et on est entre 30 et 34° dehors !) et ensuite les amortisseurs ont l’air d’avoir été volés sur une traban. Après 8 heures de route j’ai l’impression qu’on m’a arraché le coccyx à la petite cuillère.
Une nuit des plus réparatrices plus tard, nous nous rendons à l’hôsto du coin pour y rencontrer Manquilef, jeune mapuche de 13 ans du Lof (communauté) Temucuicui, commune d’Ercilla, agressé avec un ami par trois sbires du propriétaire terrien Urban. Grizelda, la maman de Manqui nous attend dans le couloir. Un visiteur à la fois. Le pauvre gamin s’est fait défoncer ! Mâchoire brisée en 3, plus de chicots, hématomes partout. Il est complètement ahuri par les cachetons. Chacun de nous passe le saluer et Léo prend quelques minutes de vidéo. Quand il part précipitamment, seul, on comprend que la sécurité de l’hôpital a été appelée. Prises de photos et vidéos interdites. Il arrive à se casser a temps. Nous apprendrons de Grizelda que les agresseurs de Manqui sont libres et qu’aucune investigation n’est en cours. Pour en avoir une il faut que les mapuche la déclenche en prenant un avocat. Mais comme ils n’ont pas une tune et que tout ce qu’il leur reste doit payer les soins du gosse, pour le moment les trois baltringues peuvent dormir tranquilles…
Après un passage obligé au marché de Temuco pour y manger une cazuela chez Doña Marianelita, nous reprenons la route pour la maison de Jorge, oncle du petit, où nous attendent sa famille, dont son frère, Jaime, le père de Manqui et… un agneau à la broche. Putain. Après la cazuela faut se farcir encore un repas, certes excellent, mais ce n’est pas comme ça que je vais garder cette ligne de princesse enviée dans les dîners mondains et dont les maîtresses de maison abreuvées aux sodas en format 3 litres se font un devoir de jalouser. Mais quand faut y aller…
Je suis d’abord surpris de voir Jorge. Il a deux procédures d’arrestation sur le dos (pour terrorisme) et censé être clando dans la nature. Il est venu semer son blé et repart le lendemain dans la montagne. Mais bon, avec ce qu’il s’est passé avec son neveu et la branlée qu’ils risquent de se prendre en arrivant dans la communauté, les pacos (flics) « ne sont pas pressés de venir [le] chercher ». Quand à Jaime, il vient de passer un mois au zonzon – sur la foi d’une dénonciation dudit Urban – et relâché finalement sans autres procédures. Faute de preuves. Il venait de rentrer chez lui quand son fils a été agressé.
Nous passons la journée (et la nuit) à causer de tout – et surtout de la situation dans les communautés – tout en faisant sa fête au mouton, aidés en cela par quelques canettes de boissons houblonnées. Depuis deux ans la répression ne fait que s’accentuer. Au Chili comme en Argentine. Arrestations arbitraires, procès truqués, assassinats (en Argentine) et maintenant violences envers des mineurs. Avec le concours ou du moins le regard bienveillant du pouvoir. C’est fou ce que les mapuche ont pu déguster sous des gouvernements dits de gauches. Frey, Lagos, Bachelet… Chaque fois qu’un socialo est au pouvoir les mapuche s’en prennent plein la tronche. D’ailleurs la plupart des lonkos appellent leurs communautés à ne pas participer aux élections nationales. Quand la droite est au pouvoir ils prennent cher, la gauche s’émeut et fait la vierge effarouchée. Mais ils prennent cher. Quand la gauche est au pouvoir, la droite applaudie la répression et le reste de la gauche ferme sa mouille. PC en tête. Bref. Droite ou gauche, pour les comuneros, même topo. La petite nouveauté bien dégueulasse du jour c’est la nouvelle coopération entre les justices et polices chiliennes et argentines pour lutter contre le « terrorisme » indigène. Ce que les amis appellent l’Opération Condor II. Pour les plus jeunes ou les plus ignares d’entre vous, l’Opération Condor, au milieu des années 70, c’est un peu l’Internationale des fils de pute. Une coopération entre la plupart des pays d’Amérique du sud – avec le concours des cousins du nord – pour cibler et assassiner tout ce qui de prêt ou de loin ressemblait à un dangereux gaucho. Même pas le temps pour un exilé chilien ou paraguayen au Pérou de visiter Cuzco ou pour un Bolivien en transit au Brésil de se payer du bon temps sur les plages de Rio. T’es un peu dissident dans ton pays ? Hop. Une balle. T’es issu d’un gouvernement de gauche ? Boum, une mine. Les services secrets de ces paradis d’extrême droite sont venu jusqu’en Europe pour égorger les fils et les compagnes de « l’idéologie marxiste ». Et voilà que Chili et Argentine semblent se souvenir avec émotion de cette période bénie durant laquelle tous les gouvernements de bidasses, hier ennemis, sont tombés dans les bras les uns des autres. Un souvenir tellement émouvant que Bachelet (Chili – socialiste) et Macri (Argentine- droite) se sont dit :
- Putain c’était chouette quand même. On remet ça ?
- Mais ça va être compliqué de se débarrasser de la fange trotskiste sans faire de vague.
- Merde c’est vrai. Hey, y’a les mapuche ! Chez moi ils font rien qu’a embêter mon maitre Benetton.
- Et chez moi ils veulent l’autodétermination en reprenant des terres qu’on leur a volées pour les donner à de vrais industriels. En plus on leur a construit des écoles. Même pas un merci. On y va ?
- Pareil chez moi. On leur a fait des routes et rien. Pas un bisou pas un bécot. Quels ingrats. Cool, on y va.
Et voilà comment on remet au goût du jour une belle tradition presque perdue. Pernaut en chialerait pendant son JT.
C’est sous un soleil de plomb et ce qui ressemble à une gueule de bois que nous reprenons la route le lendemain, se promettant de se revoir rapidement. Nous apprenons à notre retour à Santiago que Manqui, malgré son état, a été ramené chez lui. Pas assez de lits à l’hôsto en générale et pour un gamin mapuche en particulier. Du coup, comme George Abitbol, j’ai moi aussi bien envie de le dire : « Monde de merde ! »